• 10) Putain de vie... de Bad Star

    Au loin la mer scintillait et plus haut la grande corniche dresse une muraille d’or aux rupins. La végétation est d’un vert douceâtre où se mélangent les essences sucrées qui donnent envie de se lever le matin à condition d’avoir une magnifique terrasse plein sud et tout le temps d’y prendre son petit déjeuner. La Riviera est un grand piège à cons où une moyenne de quatre ou cinq larbins assure le bonheur d’un seul élu. Mais Pete Blue Morrison veut bien s’y contenter d’un banc de parpaings scellé au creux d’une petite route en colimaçon au milieu d’un champ de ruines. Celles des milliers de rêves qui hantent ses nuits quand inlassablement il refait le chemin à l’envers. Seize ans, départ mors aux dents, soixante balais, repos sacré dans une de ces grosses baraques planquées derrière les oliviers et des thuyas peignés comme des caniches nains. L’une d’elle appartient à son ami d’enfance, quasiment un demi-frère à peine plus âgé que lui, Jack Stagger. Elle se situe au bout de l’allée qui démarre plus loin à gauche et hormis le portail sombre et un bout de toits à tuiles romaines, rien n’est visible de l’extérieur. Seulement l’ambiance quoique indéfinissable qui règne aux alentours, est sans pitié pour les curieux qui s’avisent de venir la renifler. Parce qu’à part le banc déjà occupé par Pete Blue, ils ne trouveront pas d’autre endroit décent pour se reposer cinq minutes et même tout simplement poser leur cul. Ce bout de montagne pierreux et la végétation sucrée n’appartiennent pas à tout le monde. Même au loin la mer scintille différemment selon l’angle de vue des observateurs, et on peut parier que la lumière est bien meilleure depuis la terrasse d’une maison à cinq millions de dollars. Alors c’est ici qu’il est venu prendre sa soi-disant retraite.. Murmure Pete Blue. Suivirent quelques phrases plus ou moins décousues. L’enfoiré.. et pourtant on vit qu’une fois.. le Dieu des enfoirés est plus… j’avais peut-être une mauvaise étoile après tout.. ma tante m’avait dit ;. Ou plutôt à haute voix elle avait dit.. aucun homme échappe à son destin s’il a pas connu le baiser de la fortune .. mais c’était devant moi sur les marches de la maison, et je sais qui elle visait. C’était une sorcière celle-là, qui pouvait pas piffer son frangin, et ce con de frangin c’était mon père.. il était pas le plus mauvais même s’il picolait trop.. et alors ; qu’est-ce j’y suis moi, pour quèq’chose.. en quoi j’ai démérité ?.. à dix ans je distribuais les bidons de lait et le journal pour aider mes vieux.. j’ai toujours bossé comme un chien, et j’ai jamais pleuré en public.. putain de vie.. T’as pas été gâté p’pa.. faut reconnaitre.. Non, faut pas dire ça ma fille.. j’ai eu des enfants en bonne santé.. mais je suis en train de délirer là, ou quoi, qu’est-ce qui m’arrive.. et toi tu écoutes tout ce qui me sort.. la vérité c’est que j’aurais peut-être pas dû venir ici.. je m’en rend bien compte.. Janie devina qu’un dernier ressort venait de rompre, et elle le vit se replier comme s’il allait disparaitre. Pourtant elle ne bougeait pas tant la scène lui parut évidente. Elle comprend soudain la tragédie. Son père visualise en trois dimensions le vrai décor du drame, la mer bleue immense, la montagne, le portail sombre des villas et l’absurdité de son existence, et elle sait que rien au monde ne peut plus y changer quoi que ce soit. Interdite elle observe son dos avachi et ténébreux. Quelques longues minutes dissonantes. Quand il se releva il avait le souffle d’un cadavre. Certes son corps ne semblait pas atteint et pour preuve à soixante et onze ans il tient toujours debout, mais la vérité d’un homme ne se lit pas comme un bulletin médical. Janie accoudée dans son dos à une balustrade de pierre le voit serrer les mâchoires qui deviennent grises et douloureuses. Tu vas bien p’pa.. elle lui fait. Le silence de son père résonne comme un cri. Elle finit par se pencher et lui parle à l’oreille, mêlant sa respiration à la sienne comme pour le ramener à la vie. Ils ne font qu’un, leurs corps se confondent dans le décor hallucinant. Les rayons du soleil les baignent d’or et de poussière biblique. T’as vu un peu p’pa où il habite ce gros enculé.. hein p’pa, y a de quoi foutre la haine, tu peux pas le nier.. Elle lui glisse presque directement dans le conduit auditif. Oh ma fille.. parle autrement s’il te plait, puis d’abord il est pas gros, c’est même tout le contraire..

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