• En Pleine Lumière (99)

     

     

    Alex revit les corps dans le hall. Matt aussi s’était éclipsé et il y régnait une ambiance de salle mortuaire. Il manqua de glisser sur une flaque de sang puis de trébucher sur Bœuf.  Enfin son regard alla de Nico à Lola étendus sur le dos. Dans des poses plutôt dignes heureusement. Il remarqua une paix sur le visage de Nico qu’il ne lui avait jamais connu. Son cœur se serra mais le ton sans appel de Jeff le ramenait vite à la réalité.

     

    Surtout quand il se mit à tirer au gros calibre sur la porte principale où il crut deviner des ombres. Laissant des trous dans les vitres qui ne tombaient pas. Elles ressemblaient après ça à des vitraux et l’odeur de poudre brûlée valait bien celle de l’encens pour faire des adieux.

     

    -         Y a un temps pour tout…


    En concluait d’ailleurs Alex, délaissant les cadavres et traînant Karine avec lui.

    -          

    Il poursuivirent et leurs chaussures laissaient des empreintes rouges au sol. Ce qui l’amena à penser que les morts au moins reposaient tranquillement. Sans pour autant envier leur sort. Ils ne rencontraient plus âme qui vive en grimpant les étages raides jusqu’au troisième. Celui qui avait été affecté à un groupe de Rock and Roll qui n’existait plus. Il aurait été difficile de parier sur ce qu’étaient devenus les autres occupants de l’hôtel. Mais en bas des coups de bélier retentissaient contre la porte métallique de la chaufferie.

     

    Parvenus au dernier étage Jeff hésita un court instant avant de se décider.  Il força la première chambre devant lui qui était justement celle de Lola, et fit signe à Karine d’avancer.

     

    -         Tiens.. tu vas t’asseoir là… Il lui fit sans rudesse.

     

    Il avança une chaise et ouvrit les rideaux. Ainsi Karine devenait parfaitement visible de l’extérieur. Elle se laissait faire comme un mannequin de vitrine. La fenêtre à guillotine se trouvait plein sud, éclairée du soleil déclinant jaune et chaleureux. Vu d’en bas, sa présence contre la vitre devait être saisissante.

     

    -         Toi tu restes au fond du couloir.. Il faut qu’on te voit depuis les escaliers.. t’as qu’à prendre une chaise si tu veux.. Il fit pour Alex.

     

    -         Je voudrais juste les cigarettes qui sont là bas.. Il lui rétorqua.

     

    Jeff les repéra dans la chambre. C’étaient celles de Lola. Il s’accroupit pour les récupérer, ne tenant pas à servir de cible à un tireur embusqué. Puis il conserva quelques secondes le paquet en main et s’en prit une avant de lui tendre.

     

    -         Ca va pas être simple de se casser d’ici… Lâcha Jeff en tirant sur la cigarette..


    -           Je suis désolé pour toi vieux.. mais va falloir que tu me serves de monnaie d’échange..

    -         Avec elle… Il ajouta grimaçant.

     

    Alex remarqua qu’il s’abstenait de toute ironie. Il lui apparut soudainement plus humain, comme apaisé devant l’imminence de son sort. Même son visage ensanglanté et bleui ne lui sembla pas si sordide. Il évaluait personnellement à une sur mille les chances pour Jeff de s’en sortir. Dans la mesure où il avait annoncé ses conditions. Mort ou libre.

     

    Il sentait du plomb liquide couler dans son estomac. Puis ce poids l’obligea à réfléchir et à lire en lui. Découvrant qu’il se refusait à mourir. Seulement cette évidence qui donne soudain plus de valeur à sa propre vie, tombe rarement quand il faut. En l’occurrence là, il lui fallait d’abord s’assurer qu’une balle ne vienne pas tout abréger avant de se remettre à croire au destin. Il eut l’impression de manquer d’air et tourna son regard vers la vitre donnant sur le parking. Il ne cherchait pas à résister à ce poids qui l’encombrait. Choisissant de l’interpréter sans ressentir la vilaine peur qui réduit en cendres les âmes simples et réglos. Sans rien demander il fit basculer la fenêtre. Respirant l’air frais et ne fixant rien de précis. Son regard n’y rencontrait que du vide. Rien n’y bougeait et les flics avaient certainement bouclé le quartier. Dans cette forme d’introspection il manqua de rater la silhouette qui s’agitait désespérément à son intention. L’homme venait d’apparaître à la lucarne de l’immeuble qui faisait un angle à une vingtaine de mètres plus loin. Il fixa cet homme qui portait une casquette noire et tenait un fusil à lunettes en main. Il lui fallut peu de temps pour reconnaître Léonardo, malgré la casquette. Il grimaçait et pointait violemment son doigt vers la droite, ramenait sa main vers lui épaulant alors le fusil à lunettes.. L'exhortant à se mouiller et faire sa part de boulot…

     

    -     Et à un moment ou un autre il faudra me le positionner en pleine lumière.. Il en ira de Ta Survie..

     

    Alex se souvint parfaitement de ces paroles qui remontaient des abysses. Il se tourna vers Jeff qui reniflait péniblement un genou au sol, tourné vers la cage d’escalier. Il n’aurait pas donné cher de la peau de n’importe qui se pointant de ce côté sans prévenir. Il en était à se demander comment s’y prendre pour le manœuvrer sans éveiller de soupçons, quand le portable sonna dans sa poche. Jeff s’en saisit aussitôt.

     

    -         Ouaih.. c’est toi Jojo… ah je suis content de te parler.. alors dis moi ;. Où est-ce qu’on en est ?..  Quoi ?.. quoi.. quoi ;.. c’est pas vrai ?.. Répète le encore ;. je savais qu’un jour ça tomberait.. Je le savais ;. la chance elle sait ce qu’elle fait.. Elle au moins c’est pas une pute ;. Ah mon Jojo.. tu peux pas savoir la joie que tu m’donnes.. Comment il s’appelle déjà ce bourrin ;. Dernière chance.. Ouaih.. il pouvait pas s’appeler autrement, c’est sûr… .. … Attends.. attends une minute.. y faut que j’te laisse..  ;.j’te rappelle tout à l’heure.. salut Jojo.. N’oublie pas ;. à t’a l’heure ;. Sans faute.. J’t’embrasse…

     

    Il venait d’entendre des bruits dans la cage d’escalier. Il s’en approcha d’abord à pas lents, puis bondit d’un coup, mitraillant les étages de haut en bas. Avant de repartir en arrière comme un fauve. Alex était pétrifié. Il comprit que les flics ne donneraient pas l’assaut. Toute l’astuce de Jeff était de les repousser au bas de l’immeuble pour les convaincre de négocier. Il recula jusqu’au mur, prenant soin de ne pas se retrouver dans l’angle de tir de la fenêtre et l’appela.

     

    -         Y faudrait que tu viennes voir ;. Ce qui se passe en bas ;..  Il lui fit d’une voix blanche.

     

    Jeff s’avança légèrement courbé, Alex l’observa une dernière fois et un doute furtif le traversa.

     

    -         Là en bas ;. C’est bizarre .. Il lui dit en tendant un doigt.

     

    Il crut percevoir une hésitation chez Jeff qui venait de remarquer la vitre ouverte. Alors il agita faiblement son doigt pour l’inciter à avancer, il manquait moins de trente centimètres. Cela lui sembla un gouffre. Jeff allongea encore le cou, pointant son visage maculé qu’un rayon de soleil illumina. Deux coups de feu claquèrent presque simultanément. Alex vit la tête de Jeff secouée par l’impact des balles, crachant du sang et des bouts de cervelle. Il n’avait pas poussé le plus petit cri, la moindre plainte. Certainement que le temps lui avait manqué et il s’effondra lourdement. Alex voulut apercevoir Léonardo mais il avait déjà disparu. Il respira une grande bouffée d’air frais, et son sang ne fit qu’un tour. Se précipitant vers le sac des billets posé au sol à quelques mètres. Il le ramassa et fonça vers les toilettes derrière lui, repoussant la porte dans son dos. Il se souvenait très bien du geste que le chauffeur avait accompli devant ses yeux. Un petit coup sec du poing sur la planche de droite déjà dévissée.. et la planque s’ouvrait comme par magie. Il enfonça un bras dans la gaine d’aération et constata la présence d’une grille. C’était impeccable, le fric ne serait jamais mieux à l’abri que dans cette cache qui avait déjà fait ses preuves. En ressortant il perçut des bruits de pas précipités qui montaient depuis le bas. Il s’adossa contre le mur et posa ses mains sur son visage. Il voulait seulement faire le vide. Le ciel rougeoyait au delà des immeubles.

     

     

     


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