• La Ballade du Prisonnier (83)

     

    Alex n’en crut pas ses oreilles quand on l'invita à monter dans le fourgon. Tout devenait surréaliste, et il découvrait une surprenante forme de voyager. Vu qu'il ne s'agissait pas de grimper dans la confortable cabine mais de s'en aller pourrir à l'arrière, dans la caisse. Il était écrit quelque part que ce jour lui serait compté double.

     

    Devant ses réticences Bœuf n’hésita pas à lui caresser les omoplates, et à contempler les têtes de Matt et Kim dans ce coin discret du parking, il se dit que ça n’arrangerait pas son histoire de tenter l’épreuve de force. Juste avant, Nico était lui aussi revenu à la charge.

     

    -    Putain… Mais tu vas pas jouer au con toute ta vie.. Il s’était écrié en serrant les dents. Il fallut l’intervention de Lola pour l’empêcher de dégainer comme si les armes étaient devenues sa nouvelle nature.

     

    -    Je me demande ce qui peut les rendre fous à ce point ;. Ca peut pas être le fric, un engrenage peut-être ;. Ils se sont mis à frimer entre eux et c’est une sorte de concours maintenant…

     

    -    Tu t’y prends mal..  avait affirmé Lola.

     

    Alex estima qu’elle mijotait un plan. Pourtant l’idée de le planquer dans le noir absolu venait de Nico. Sous prétexte que ça garantissait sa présence jusqu’au retour des billets. Alex se demanda si avec un tel procédé il aurait craqué étant réellement en possession du magot. Il faut s’imaginer ce que signifie un petit voyage entre les quatre tôles aveugles d’un fourgon. Une chambre de torture dont on a pris soin de démonter la poignée intérieure. L’engin était quasiment vide, tout le matériel avait déjà été remonté dans la salle de concert à une trentaine de kilomètres. La tournée bénéficiait toujours de la logistique accordée au groupe vedette lourdé par Boyarkan.

     

    Dans un premier temps le vide lui avait permis de s’allonger et même de somnoler. Mais dès qu’ils avaient pris la route, il lui avait fallu s’accrocher pour ne pas valdinguer de tous les côtés. A se demander si le chauffeur visait chaque trou de la chaussée par pur sadisme. Il se retrouvait couvert de bleus quand le fourgon s’immobilisa enfin, après un ultime coup de frein qui l’envoya bouler contre la cabine. Il ne douta pas une seconde au sujet du coup de frein. Il faisait partie de la punition.

     

    -    Et les mecs.. faite moi sortir de là.. Il cria en entendant des pas s’éloigner.

     

    -    Ta gueule.. Lui répondit bœuf à travers la tôle, et en balançant une claque sur la ferraille. A l’intérieur le bruit résonnait comme une cloche. Alex pensa que Bœuf devait continuer à le surveiller de près et que tout était combiné d’avance. Ce n’était rien de plus que du cinéma. Il en était certain mais ne put que s’asseoir la tête entre les mains.

     

    -    Bœuf je meurs de soif.. Ouvre s’il te plait.. Il fit plus tard.

     

    Pour toute réponse il entendit siffloter une chanson qu’il connaissait bien. La Ballade du Prisonnier.. un autre grand classique de Freddy. Il pensa qu’ils comptaient le laisser mariner jusqu’à ce que sa chair soit suffisamment ramollie. D'autant que le noir commençait à le hanter. Il se découvrait légèrement claustrophobe et sentit que ça pouvait virer à la panique. Pour donner le change il ne trouva rien de mieux qu’à reprendre la mélodie. Siffler ainsi sur le même ton que Bœuf lui fit retrouver un brin de courage. Soudain des voix lui parvinrent. Celles d’inconnus qui passaient innocemment à proximité. Il manqua d’appeler à l’aide, mais les sons s’étouffaient, parvenant à ses lèvres sous forme de borborygmes. Les paroles de Léonardo dans les senteurs âcres des urinoirs, venaient de l’assommer.

     

      ‘’ T’auras du mal à expliquer aux juges que t’es innocent dans tout ce cirque.. recel de tueurs.. ça va chercher dans les cinq piges, et peut-être plus si on appuie un peu dessus.. à ta place je réfléchirais vite… ‘’

     

    -    T’avais jamais imaginé baigner un jour dans un volcan.. Et mieux encore;. rien ne dit que la fin de l’histoire te convienne.. Il pensa amèrement.

     

    S’avouant  qu’il ne pourrait pas fuir très loin sans rendre de comptes. Ce qu’il savait depuis un moment même si son esprit s’évertuait à prétendre le contraire. Entre les millions volatilisés et la mort du vieux, plus quelques autres anecdotes assez mineures, il y avait de quoi l’envoyer tout droit devant un jury populaire. Le genre qui n’apprécie pas du tout les guitaristes aux cheveux rouges accrochés comme des timbrés à un bout de bois déverni sous prétexte que c’est une Fender de soixante cinq. D'un coup Léonardo lui apparut comme son unique bouée de sauvetage.

     

    A présent il supportait mal l’air confiné et moisi du fourgon. Il crut qu’une ombre le frôlait et eut un frisson. Il lui sembla entendre le vieux ricaner dans la brume.  Sa voix montait de la plaine et derrière lui courait son chien loup aboyant. Une autre vision lui vint à la suite. Il se revoyait sur la route de campagne déserte et froide. Profitant d’une sensation d’espace et de vert frais à l’infini. Avec cette route qui semblait franchir un horizon resplendissant comme un miroir. Il se dit qu’il aurait du marcher sans jamais s’arrêter, à s’en faire saigner les pieds. Ainsi il serait arrivé un matin sur une autre planète, sans réel effort, ne constatant aucune peine. Découvrant une terre bourrée de plantes aux fruits mûrs et juteux qui auraient le pouvoir de couper instantanément la soif. Et où toutes les filles ressembleraient à Lola… Sauf qu’elles ne passeraient pas leur temps à cavaler derrière des millions ou d’autres breloques aussi malsaines.

     

    -    Mais au fait.. C’était quand déjà tout ça ?…

     

    Il lui fallut réfléchir intensément pour retrouver la date exacte qui l’avait vu jeté dans ce matin froid et incertain nappé de brouillard. Il fut stupéfait de réaliser que le début de l’histoire ne remontait pas au delà de.. Il en Etait au Sixième Jour… Avec un peu moins de bon sens il aurait parié sa guitare que l’affaire durait depuis des années. Jurant que tout avait démarré à l’heure précise où Freddy avait repris la route sans lui.

     

    Le loquet de la porte grinça et un rai de lumière traversa le fourgon, le touchant en plein front. Alex sursauta et d’une main se cachait les yeux qui brûlaient. La porte s’ouvrit en grand, et la silhouette de Lola s’inscrivit sur le ciel bleu.

     

     

     

     

     

     


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