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    Le séjour n’était éclairé que par une ampoule jaune au plafond et les ombres mouvantes de la télé. Le mobilier se composait d’anciens meubles d’acajou plaqué et usé, d’une vieille télé allumée, ainsi que d’un luminaire de plastique rose dans un coin. Sur un des murs une horloge baromètre entourée de portraits de famille noircis, indiquait trois heures, le plein après-midi donc, et un groupe de chevaux en plâtre laqué trônait sur son guéridon. Les portes et les fenêtres soigneusement fermées ne laissaient passer aucune lumière. Enfoncé dans le seul fauteuil, recouvert de velours poisseux et à moitié défoncé, Alex tentait d’écouter  ce qui se disait dans son dos. A l’autre bout du mur sur sa gauche, assis sur un tabouret de cuisine en formica, un vieil homme baissait la tête vers le sol, muré dans le silence et ses yeux grands ouverts brûlaient d’une haine impressionnante. Ses bras tremblaient, seulement les deux mains jointes dans le dos étaient entravées par de la grosse ficelle et de surcroît rattachées au radiateur. Ce qui  rendait impossible tout exercice d’étirement qui aurait pu le soulager. Alex essaya en vain d’établir un contact, cherchant à croiser son regard. Après de vaines tentatives il haussa les épaules et se laissa accaparer par la télé laissée en sourdine. Un reportage sur les Papous lui parut bigrement intéressant, et harassé de fatigue, les muscles endoloris par les coups, il oublia pour quelques minutes la situation et sombra dans la torpeur.

     

             -  Montre nous un peu ce que t’as dans les poches.. qu’on soit sûr au moins que tu ramènes pas d’embrouilles..

     

    Jeff venait de le secouer par une épaule, se dressant dans le halo de lumière pâle venant du plafond. Dans sa main un automatique remplaçait le fusil à canons sciés.

     

    -         Qu’est-ce qu’il a lui ?.. Hasarda Alex d’une voix fluette et innocente.

    -         Mmmmh.. mh.. Ricana Jeff en se tournant vers le vieux.

    -         Mêle toi plutôt de ce qui te regarde.

     

    -         Mais je ne voulais pas paraître curieux.. Simplement..

     

    -         Simplement quoi ?..

     

         -    Rien.. Mais peut-être qu’il a soif.. ou que les cordes lui font mal, il a pas l’air spécialement en bonne santé.. c’est tout ce que je voulais dire..

     

    -         Comment ça.. t’es pas bien avec nous le papé… ou que tu voudrais encore nous jouer des farces.. il va très bien notre pépère.. et je ne suis même pas certain qu’il mérite d’aller aussi bien, allez à toi maintenant ;. Vide tes poches ;.

     

    Alex lentement s’exécuta, quand un son caverneux emplit la pièce, provenant du coin où le vieux était ligoté au radiateur.

     

    -         Ils ont tué mon chien… méfiez vous d’eux, ce sont des bandits, ils ne respectent rien..

     

    -         Pauvre vieux fou.. Hurla Jeff d’une voix métamorphosée.. Je te conseille de plus la ramener..

     

    Il se précipita vers le vieux, et Alex vit en un éclair son corps trapu et dense, vibrer de colère. Il continua à le fixer tandis que celui-ci agitait son arme devant sa victime, avant de l’obliger à se redresser par le canon collé au menton. Des spasmes le traversaient, qu’Alex suivait l’un après l’autre et qui l’effrayaient, pourtant ce n’était pas de la peur qu’il ressentait aussi intensément, ou alors cette dernière se mesurait à la fascination. Cette violence brute simplement le dépassait. Comme si la vie lui avait épargné jusque là ces aspects trop vils de la nature humaine. Heureusement Jeff jugea qu’il avait mieux à faire et s’en  retourna. Alex se dit que cela aurait pu être pire.

     

    Puis il vit le vieux cracher et il se raidit.

     

    -         Un homme qui tue un chien… il n’y a plus rien à ajouter sur lui.. moi je l'avais jamais frappé de ma vie

     

     Jeff refusa d’en entendre davantage. Il balança un coup de crosse sur la tête du vieux qui l’assomma à moitié, le faisant rouler contre le mur.

     

    -         Aiinnhh.. Lâcha-t-il seulement en s’affaissant sur son tabouret. Un filet de sang se mit à suinter le long du mur. Alex subissait la scène bouche ouverte et la gorge serrée. Jeff renifla très fort avant de se mettre à marcher dans la pièce.

     

    -         Voilà ce que c’est de laisser une chance aux gens, ils ne la méritent pas toujours, et après ils s’étonnent qu’on peut être en colère..

     

    -         Calme toi mon minet.. nous on sait que t’es un type bien ;. Il n’y a pas que des vieux cochons sur terre ;. C’est pas vrai le guitariste, tu nous a même pas dis comment tu t’appelles ;.

     

    Alex sentit le parfum de Lola se rapprocher. Il s’était efforcé de na plus y penser depuis qu’ils étaient rentrés dans la maison.

     

    -         Et mec.. tu lui as pas répondu ;. Et t’as toujours pas vidé tes poches.. t’es de la famille des sourds toi ma parole ;;

     

    -         Alex.. Fit-il d’un ton résigné.

     

     

         -    Alex comment ?..

     

         -   On m’appelle Alex, et rien d'autre.. tout le monde m’appelle Alex.. le reste c’est pour le ministère des impôts..

     


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    Il n’alla pas plus loin dans ses pensées. Jeff venait de se retourner, le regard pointé vers le ciel. Un ronronnement sourd et régulier envahissait l’air, comme une monstrueuse palpitation d’insecte.

     

    -         Vite Lola.. ils reviennent.. il faut dégager d’ici., sinon on est fichu..

    -         Allez debout l’artiste ;. On a plus le temps de rigoler.. ramasse lui sa guitare Lola..

     

    Il agita son arme et agrippa Alex au dos de la veste, avant de lui coller les canons au creux du dos, le poussant sans ménagement vers la maison. Lola les rattrapait avec peine, sautillant sur la terre pour éviter d’y enfoncer ses hauts talons. Aggripant le manche de la guitare. Alex la vit débouler sur le seuil de la maison et malgré les circonstances tout son esprit fut accaparé par la mini jupe bleu-ciel ultra courte et diablement ajustée. Il se demanda comment on pouvait ne pas avoir froid dans cette tenue. Elle portait à peine en haut une petite veste de cuir et un léger pull sombre en dessous qui ne prétendaient cacher quoi que ce soit de ses formes fluides et chargées d’hélium. Il y eut un remue ménage quand Jeff alla se jeter littéralement sur la porte de la pièce pour la refermer avant que les murs ne tremblent au passage de l’hélico. Un shaker géant remuait le ciel. Un danger planant juste à la verticale et qui allait s’abattre d’une seconde à l’autre. Mais il ne se passa rien de plus et quelques secondes plus tard le calme régnait à nouveau. De toute façon Alex était à peine conscient de toutes ces péripéties. Elles ne faisaient que s’additionner à d’autres et sa fatigue le reprenait. Il n’avait jamais dormi qu’une heure de plus et toujours rien avalé depuis la veille. Rendant son cerveau très disponible pour des images d’apparence futiles quoique au fond plus fondamentales.

     

    Dans la pénombre de la pièce où régnait une odeur rance et tenace de buanderie, tous s’étaient figés depuis le passage de l’hélico. Alex pour sa part n’y prêtait pas plus d'attention que lors de ses démêlées avec l’équipe motorisée. L’observation rapprochée de son ravisseur au fusil à canons sciés lui parut autrement plus intéressante. Il remarquait une silhouette courte et râblée, un crâne buté au front droit et des boucles d’oreilles ornées de pierres. A la maigre lumière d’une minuscule lucarne vers laquelle l’homme s’était tourné, il le détailla autant qu’il pouvait. Devinant ses larges narines de chien de chasse, des joues tendues, et surtout les orbites profondes démesurément creusées par l’ombre mouvante de la minuscule lucarne percée en haut du mur. Son esprit enfin se remit à fonctionner, et il sut que ce type qui fuyait les flics comme la peste était le même dont lui avait parlé l’officier. Le tueur en cavale se trouvait à un mètre de lui, et son cœur se souleva malgré la fatigue. Pourtant la peur s’estompa rapidement. Cette nouvelle réalité ne lui apparut pas si effrayante après le décompte de tout ce qui venait de lui tomber dessus en quelques heures. Il eut même l’intuition que le plus douloureux était passé maintenant. Les vrais voyous n’avaient eu besoin d’aucun fusil à canons courts pour le flinguer en plein cœur. Bizarrement aussi il se sentait moins vulnérable, juste las et faible. Ce qui lui donna envie de reculer jusqu’au mur pour s’y adosser. Mais il ne put y parvenir, ses reins venaient de buter sur la main de Lola. Jeff leur tournant le dos, suivant de toutes ses oreilles les évolutions de l’hélicoptère dont le faible écho enflait à nouveau.

     

    -         Ils vont se tirer de là oui, ces ordures.. ils vont finir par se tirer oui ou non ?.. Qu’est-ce t’en dis Lola ?.. Il s’écria nerveusement.


    -         Ecoute.. écoute bien .. on dirait que le bruit diminue ;. Qu’est-ce t’en dis Jeff ?..

     

    Alex voulut s’intéresser à son tour à cette histoire d’hélicoptère, seulement la paume de Lola lui chauffait les reins à blanc, pendant que son parfum musqué l’empêchait presque de respirer.

     

    -         Mon petit père t’es verni d’un coup, ça n’arrive qu’une fois dans la vie une aventure pareille.. Pensa-t-il, le souffle coupé… Et pour ne rien arranger t’as mis la main sur les tueurs avant les flics.. Tu pourras même leur demander une prime après tout. Il rumina en esquissant un sourire.. Alex t’es en danger de mort ;. Et ça aussi c’est nouveau dans ta carrière. Ce serait dommage pourtant que ça se termine là .. Alors qu’il te reste quelques affaires à régler avec l’existence.. Continua-t-il à soupeser secrètement à l’abri de son crâne ; Cherchant néanmoins à s’écarter de la main avide et généreuse de Lola comme de son souffle court caressant sa nuque.

     

    Le bruit à l’extérieur disparut enfin et Jeff se résigna à baisser son arme qu’il avait tenu braquée vers le ciel par simple réflexe.

     

    -         Oupff.. ils ont tourné autour de la maison un bon moment c’est sûr, j’aime pas beaucoup leur manège. Fit-il. Qu’est-ce t’en dis l’artiste.. Tu crois qu’ils vont revenir les flics ?..

     

    Il laissa passer un moment. Reprenant d’une voix grinçante.

     

          -  T’aurais pas une petite idée sur nous ?.. J’ai bien l’impression que oui.. Ajouta-t-il sans attendre de réponse. Le noyant d’un regard animal.

     

     

     

     

     


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    -         Ca doit être un cauchemar.. c’est sûr, t’es à nouveau en plein cauchemar, 

            voilà ce qui t’arrives.. , Bouge toi et ouvre les yeux ou tu vas mourir de trouille, allez ça urge encore une fois ;.

     

    Il brandit une main devant lui, avec la vague idée de se protéger, et parvint enfin à écarquiller suffisamment les pupilles. Qui se remplirent de deux silhouettes gigantesques, impeccablement découpées sur le fond maintenant bleu du ciel. Il aperçut d’abord deux longues jambes nues à la peau lumineuse, aux cuisses magnifiques et incroyablement fuselées, et à leurs sommets il percevait le tissu brillant et blanc d’un slip. Une seconde il n’en crut pas ses yeux, et se figea comme hypnotisé sur le morceau d’étoffe . Il en oubliait la douleur du coup de pied.

     

    -         Putain de bon Dieu.. Il marmonna la bouche à peine entrouverte.

     

    Quand un second choc le ramena à la réalité. Moins appuyé que le précédent il ne fit qu’augmenter la confusion.

     

    -         Allez mon gars.. c’est plus l’heure de la sieste, et raconte nous un peu ta vie.. T’es en vacances dans le coin je parie ?..

     

    Alex eut le réflexe de se relever, et tenta un soubresaut. Un nouveau coup vint le frapper sur l’épaule et il ne put que râler. Attrapant son épaule de sa main valide, il réussit à se tourner vers son agresseur. Ses yeux rencontrèrent ceux de Jeff, et toute envie de dormir s’évanouit. Profitant de l’inquiétant silence qui s’ensuivit, il dévisagea l’homme, découvrant ainsi que l’avenir s’annonçait incertain. Tellement incertain d’ailleurs qu’il ne trouva rien d’autre à lui répondre qu’à sourire franchement.

     

    -         Bravo mon bonhomme.. je vois que t’aimes la plaisanterie.. ça me plait ça au moins, et on va pouvoir s'entendre.. qu’est-ce t’en dis Lola ?..

     

    Cette dernière gloussa, ce qui l’incita à retourner ses yeux vers elle, retrouvant sans amertume le tissu brillant du slip. Il remarqua son chapeau tout en haut et alla de l’un à l’autre dans la mesure où personne ne semblait pressé d’en finir avec la situation. Jusqu’à ce qu’il tombe en arrêt sur l’arme qui pendait au bras de Jeff, et la vue du fusil à canons sciés stoppa net la course de son regard.

     

    -         Décidément le secteur n’est pas sûr.. il s’y passe des évènements qui échappent au commun des mortels,.. Pensa-t-il en se pinçant la bouche ;.

     

    Mais son mode de dérision naturel qui allait jusqu’à réfléchir à la troisième personne, ne lui était d’aucun secours. Sur son front l’inquiétude transparaissait.

     

    -         Et mec.. t’accouches ou il faut t’aider..

     

    Jeff commençait à s’impatienter, le manifestant par une voix rugueuse.

     

    -         Alors le musicien, tu nous la racontes ton histoire.. après tout il y a au moins une chance sur deux qu’on te croit.. c’est pas vrai Jeff ?..

     

    -         T’as raison Lola.. je me demande si on fait pas fausse route, mon défaut c’est de me montrer souvent trop gentil… c’est pas vrai ma poule ?..

     

    -           Hi hi hi.. je crois qu’il voit ma culotte d’en bas.. je comprend qu’il ait perdu sa parole..

     

    Elle ne put terminer sa phrase que Jeff d’un mouvement rapide collait les canons de son arme aux narines d’Alex.

     

    -         Tu mates ma gonzesse bonhomme ?.. à ta place j’hésiterais à faire des conneries, à moins que tu prennes pas au sérieux ce calibre douze.. tu as le droit de te tromper après tout..

     

    Alex se disait justement qu’il aurait du mal à leur faire avaler son histoire

     

         -  Ils ne m’ont pas l’air du genre à croire une vérité toute simple ;. T’as que deux solutions devant toi.. à partir du début, tu commences avec Freddy, puis tu continues par le reste, c’est à dire Nico, Karine, les flics sur la route.. mais ça risque d’être long, et tu y serais encore demain.. où tu fais court.. en leur expliquant que t’es tombé du bus, que t’as marché un bon moment, et qu’avant de mourir de soif.. t’as préféré venir jusqu’ici et que tu t’excuses.. ;.. Ils vont pas te croire non plus !.. ce type me paraît très nerveux, faut y aller mollo.. d’ailleurs au fait.. maintenant que j’y pense.. qui sont ces gens ?… quelque chose me dit que ce ne sont pas les propriétaires….

     

     

     

     

     


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    Une brise de printemps agitait faiblement les feuilles tendres du cerisier. Le parfum des fleurs enveloppait le dormeur, agrémentait son sommeil d’une bonne odeur de nature. Alex coulait à pic dans un lac de douceur et de calme, loin des rires fous de Karine et de l’atmosphère bleutée du bus, dans un endroit où il ne ressentait plus aucune peine, ni faim ni soif, loin du masque de pierre de Léonardo. Sa bouche en ondulant disait qu’il se demandait comment finir sa vie dans ce jardin. Son visage détendu avait perdu ses rides, et même la barbe retrouvait l’aspect d’un duvet adolescent. Il ronflait faiblement, avec des grimaces de jeune chiot se dorant au soleil, pendant que ses cheveux rouges tâchaient le sol d’une couleur de plante exotique. Il paraissait bien plus jeune ainsi, avec une forme d’innocence se dégageant de son souffle. Et il ne pouvait entendre les sarcasmes qui depuis une minute déjà le concernaient.

     

             -  Putain, alors là on aura tout vu dans cette cambrousse… qu’est-ce que t’en dis Lola ?..

     

    La fille continua de flairer le dormeur, lui tournant autour, l’examinant à pas lents, une main sur la bouche se retenant ainsi de pouffer.

     

    -         Je me demande s’il est pas tombé du ciel.. peut-être d’un hélicoptère.. j’y suis Jeff, c’est un espion, et il dort comme un bébé., que c’est mignon tout plein.. pff.. pff..

     

    -         A mon avis il faudrait le réveiller, ou lui amener le café au lit.. et après il nous jouerait une sérénade.. qu’est-ce t’en dis Lola ?..

     

    -         Un guitariste qui vient dormir sous un cerisier, en voilà une histoire qui nous change les idées, c’est carrément bucolique, on en pleurerait.. et si ça se trouve c’est un petit génie dans son genre.. en tout cas il a une bonne tête.. qu’est-ce que t’en dis Jeff ?..

     

    -         De plus moi j’aime bien son chapeau.. Elle continua à pas lents, évitant la guitare reposant sur l’herbe avant de s’en aller ramasser le chapeau et le poser sur sa tête.

     

    Elle sourit avec un clin d’œil à l’adresse de Jeff. Celui-ci la regarda de travers, et ses yeux lançaient des flammes, comme chaque fois que Lola par malheur fixait n’importe quel type un peu trop longtemps. Fut-ce même un étonnant et paisible dormeur.

     

    -         En tout cas moi je dis surtout qu’il ne manquait plus que celui-là.. on ne devait pas avoir assez de problèmes en ce moment..

    -          Enfoiré.. il jura. J’aime pas que les fouilles merde viennent traîner par ici ;. C’est la totale quoi !..

      

    Le visage de l’homme s’allongea, prit une touche indéfinissable, vaguement cruelle au niveau des yeux. Et nettement plus ironique du côté de la bouche. Puis il baissa l’arme qui jusque là était dirigée sur Alex, et fit claquer sa langue. Autant de signes qui chez lui manifestaient une certaine réflexion, mais son front plat et lisse trahissait les limites de sa pensée.

     

    -         Il va déjà nous dire qui il est cet enfoiré.. Lâcha-t-il sans s’expliquer davantage, car d’un geste sec il balançait aussitôt son pied en direction du dormeur. La haute chaussure à lacet s’écrasa juste sous le fessier, produisant un son mat.

     

    -         Rrraoouuugh..

     

    Le grognement parut sortir d’une outre. Tout le corps se contorsionna sous la douleur. Cueilli dans un sommeil profond et comme débranché du cerveau. Il fallut plusieurs secondes à Alex pour seulement entrouvrir les yeux, et un rayon de soleil l’aveugla. Il voulut se relever mais ses muscles ne répondaient pas. Ne trouvant qu’à gémir, l’esprit à demi asphyxié par la douleur, et ce danger qui lui tombait dessus.

     

     

     

     

     

     


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    Dans l’euphorie il ne se méfia pas assez de la dernière idée de sa compagne. Elle tenait tellement à le suivre qu’il finit par convaincre les autres et au bout du compte elle fut nommée assistante habilleuse. Cette fois elle était aux anges.  Sachant par expérience comment cela se passait en dehors des concerts, il aurait dû mieux réfléchir à l’histoire. Seulement Alex ne savait jamais réfléchir à deux évènements simultanés. Depuis ils étaient sur la route, une quinzaine de jours déjà, et la tournée fonctionnait plutôt bien. Du moins jusqu’à cette dernière nuit. Dans le bus qui glissait silencieusement vers la ville suivante où l’hôtel avait été réservé, il avait fini par lâcher les doigts de Karine. S’enfonçant dans une brume chaude et douillette. Ce n’est qu’une heure plus tard en se retournant sur son siège qu’il eut l’intuition de son absence. Il s'efforça d'ouvrir les yeux, qui eurent du mal à s’habituer à l’obscurité lourde et chaude du bus. D'âcres relents d'herbe l'étouffaient, tandis que la sono du bord diffusait un vieux Rolling Stones. Malgré son sommeil il reconnut d’emblée Let It Bleed, et un sentiment inconnu l’envahit. Il fouillait des yeux les ténèbres de l’allée centrale, quand il entendit des rires étouffés qui provenaient du fond. Le corps brisé de courbatures il se leva et comprit que Karine se trouvait là bas sur la banquette arrière, entourée d’ombres grises à demi courbées. Il vit l’une d’entre elles se renverser pour descendre au goulot une bouteille d’alcool, et la voix haletante de Karine lui parvint au travers de l’air poisseux et sombre. Il s’approcha pour découvrir ses jambes blanches entre lesquelles se démenait en sifflant Nico. Autour de lui les autres profitaient patiemment du spectacle en attendant leur tour. Il ne trouva que des mots creux et confus pour l’appeler.

     

    -         Mais qu’est-ce que tu fais Karine ;.. qu’est-ce qui t’arrives ?..

     

    Alex s’était bloqué entre deux sièges, et avait crié de sa voix éraillée de sommeil. Puis il se figea la bouche ouverte. Nico l’ignora superbement, trop occupé dans sa tâche. Seuls les autres le dévisagèrent en contenant leurs rires. Les soupirs de Karine se firent plus forts, plus rauques, le frappaient au cœur. Elle devina subitement sa présence et se tourna vers lui en soufflant, les yeux brillants comme des ampoules dans la nuit. Et il la vit jouir ; se raidissant sous les coups de reins de Nico, lui enfonçant ses ongles dans l’échine, sous la chemise.

     

    -         Non.. pas ça.. . Hurla-t-il en se précipitant sur les deux corps soudés à la banquette. Il se jeta sur Nico en tentant de l’arracher, mais se retrouva ceinturé, repoussé dans l’allée. Incapable de tout comprendre sur le champ. Puis Nico se dégagea en râlant, remonta son pantalon, et se glissa au milieu du groupe ;

     

    -         J’allais prendre mon pied connard.. c’était bien le moment que tu la ramènes, t’es vraiment un cave.

     

    -         Salaud..  est-ce que t’avais besoin de toucher à ma femme ;.. t’es une ordure..

     

    Ses lèvres se bordaient d’écume. Nico le regarda en face.

     

    -         Je crois que tu te fais trop vieux pour nous.. il faudrait peut-être revoir le contrat…

     

    Il lui crachait en plein visage, donnant à sa bouche une forme haineuse.

     

    Alex serra les poings, et pour la première fois de sa vie ; les muscles frémissants, il allait cogner. Si le rire de Karine n’était venu l’assommer plus sûrement qu’un nerf de bœuf.

     

    -         Et si on lui faisait faire un peu de marche… à notre ancien guitariste de Freddy.. qu’est-ce que vous en dites les gars ?..

     

    Puis elle partit dans un rire halluciné. Nico se tourna vers les autres et tout le monde sembla d‘accord. Seul le chauffeur du bus hésitait, mais il comprit rapidement que l’affaire était entendue. Alex ne se défendit plus en se retrouvant dehors au milieu de la nuit épaisse et froide. Du fond du bus le rire sans fin de Karine lui arrachait le cœur.

     

    -         Ma Fender.. ma Fender… Marmonna-t-il en remontant soudain les marches et s’accrochant à la rambarde. La panique le prenait en songeant à l’instrument qu’il n’avait jamais quitté même une heure en plus de vingt ans.

     

    -         Je veux ma Fender.. je veux ma Fender bande de pourris..

     

    Ce fut Nico qui vint lui jeter dans les bras.

     

    -         Et maintenant dégage.. on t’a assez vu..

     

    Puis il se pencha au dehors du bus qui redémarrait.

     

    Sa main tenait un chapeau droit qu'il lui envoya dessus comme un freesbe.

     

         - Comme ça t'auras pas froid.. Couillon.. Et si t’es pas au concert demain soir.. cherche un autre groupe.. ;  Il cria à l’ombre qui diminuait.

     

     

     

     

      

     

     

     


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