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    Il fixa trop longtemps le sol, et ne comprit pas ce qui arrivait. Un coup de feu venait de déchirer l’écho de la dernière chanson. Suivi d'une rafale qui brisa les systèmes nerveux. Alex ravalait ses larmes amères quand les balles s'étaient mises à claquer de tous côtés. Il fit un saut à droite et manqua de voler en bas de la scène. Mais tous crurent qu’une bombe leur tombait dessus. Près de lui Matt se raccrochait à un pied de micro et Bœuf faisait voler une cymbale à cinq mètres. Lola instinctivement avait reculé jusqu’au mur. Elle serait allé plus loin encore si une brèche s’était ouverte dans son dos. Forcément, elle était la première à comprendre. Vaguement myope, Alex crut d’abord que les amplis venaient d’exploser. Il aperçut Nico devant lui, livide et luisant au sol. Fixant les gradins avec une gueule de condamné à mort. Alex suivit son regard et cessa de respirer. Il venait de découvrir l’automatique chromé tourné dans sa direction. Cependant le plus extraordinaire n'était pas l'arme. La main qui le tenait était bien plus surprenante et le laissait pantois. Il aurait juré qu’hormis dans un film de série B mal goupillé avec des revenants et des fantômes, une telle histoire était juste impossible. Le flingue se trouvait dans les mains de Karine et il dut encore entendre sa voix pour y croire.

     

    -      Tu m’attendais plus salopard.. hein, reconnais le au moins.. t’as cru que j’allais disparaître pour toujours.. Après un bon shoot dans ma vie ;. T’as voulu que je sois bonne pour l’overdose.. ih ih.. ih.. Mais j’aurais donné la moitié de mon sang rien que pour te voir à genoux, Exactement comme ça ;. Comme t’es là.. tu vois que tout est possible ;. Même les pires cauchemars ;..

     

    Alex comprit que le discours saccadé et débité avec un souffle court ne lui était pas destiné. D’ailleurs elle continua ensuite pour lui.

     

    -     Pousse toi Alex, j’en ai pas contre toi ;.. tu t’es fais rouler tout comme moi, on s’est bien planté tous les deux… Mais t’es pas le plus coupable, et où est-ce qu’elle se cache la blondasse ?.. Allez pointe un peu ta tronche que je t’aligne.. Eh qu’est-ce qui t’arrives connasse ?.. t’as les foins maintenant.. ah.. ah.. va falloir que je vienne te chercher ;..

     

    C’est alors qu’une voix rocailleuse surgit du haut des gradins, une voix malade et sifflante.

     

    -    Te fatigues pas.. On va d’abord s’occuper de notre affaire, j’te le dis ;. N’empêche que t’as raison ; on a des trucs à régler.. Approche toi Lola, j’te vois de là où je suis.. Nom d’un chien, j’ai beau dire.. Mais quand j’te revois !..

     

    Jeff semblait incapable de terminer sa phrase. Alex l’aperçut dans la pénombre. Poussant devant lui le chauffeur et Kim qui s’affalait sur ses jambes. Mort de peur. L’autre roadie s’était jeté sur le rebord de scène à la vue des deux canons sciés, et aussi du pistolet mitrailleur que Jeff tenait respectivement dans chaque main. Il venait de récupérer  toutes les armes d'un coup. Ils les avaient malheureusement planqué sous la console de réglage pour la répétition.

     

    Alex vit immédiatement la large bande qui lui ceinturait le ventre à même la peau, tâchée de sang. Jeff ne portait rien d’autre sous le blouson de cuir. Il voyait même sa carcasse qui tremblait sans discontinuer. Il eut aussi un haut le cœur. Jeff  venait d’envoyer une baffe sur le cou du vieux chauffeur pour l’obliger à avancer. Ce dernier hoqueta et manqua de vomir. Il posa ensuite ses fesses sur un siège de la travée et sortit un tube de comprimés qu’il porta directement à sa bouche. Les tremblements se calmèrent presque aussitôt.

     

    -      Mince.. ils ont du braquer une pharmacie.. Pensa Alex, certain que c’étaient des amphétamines. Dans son état il eut le sentiment qu’il en aurait bien accepté une petite si Jeff avait eu l’idée de lui proposer.

     

    Mais Karine de son côté redoublait d’excitation.

     

    -      Allez les mecs on reprend la musique, je veux vous entendre.. Un concert des Chiens Electriques pour nous tous seuls ;.  J’en ai toujours rêvé..

     

    -      La ferme ;. Il y a autre chose à foutre.. Fit Jeff de sa voix sifflante.

     

    -      Je m’en tape.. Moi ce que je veux, c’est un concert de ces connards pour moi toute seule.. Y a que ça qui me calmera.. y me le doivent ces enfoirés ;.

     

    Elle termina à peine sa phrase qu’elle levait l’automatique et appuyait sur la détente. La détonation fut aussi assourdissante que les premières, et la balle les frôlait sur scène. Ricochant sur le mur du fond avec un bruit sinistre.

     

    -      La prochaine ça sera droit sur ton nez.. Elle fit en rageant. S'adressant à Nico qui à genoux, était paralysé sur l’estrade. Il ne s’était toujours pas relevé depuis la fin de la chanson. Le visage de Karine était creusé et sculpté par le manque de sommeil. Alex l’observait stupéfait.

     

    -      Elle doit être chargée à mort.. Il y a tout un hôpital rien que pour elle dans l’estomac, sinon ça s’explique pas.. Même qu'elle a qu’une envie, c’est d’en massacrer quelques uns ici ;. Et comment ils ont fait pour se retrouver ces deux ?.. Ca tient pas debout.. 

     

    Elle lui sembla plus efflanquée que jamais. Il l’examina encore et éprouva une vraie compassion. Se disant que l'affaire pouvait méchamment déraper.

     

     

     

     

     


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    -   On va régler l’affaire tous les deux, hein Alex.. que toi et moi.. c’est pas vrai ?..

     

    -   Si tu veux Lola, mais il faudra que tu me donnes la combine.. Je suis prêt à répéter tout ce que tu veux.. T’as qu’à parler la première, et je répèterais sans changer un mot.. Il fit en se relevant.

     

    Il repoussa la porte du fourgon et aperçut Bœuf sur un muret à une dizaine de mètres. Le jour l’aveuglait.

     

    Il avala de grandes bouffées d’air et descendit. Une pesanteur particulière l’accueillait, une atmosphère tourneboulée. Il observa le bâtiment à proximité où aurait lieu le concert. C’était une masse cubique posée en plein champ, couleur gris ciment. Un bunker hideux sorti de l’imagination d’un élu local qui voulait y voir collé son patronyme. Derrière lui Lola quittait le fourgon à son tour, la mine brouillée. Alex l'ignora. Il ne pouvait résoudre le problème qu’elle lui posait.

     

    Quand un ronronnement se fit entendre, il se retourna et vit le fuselage or et noir du bus qui s’amenait, étincelant sous de minuscules rayons du soleil haut dans le ciel. A l’avant derrière le pare-brise fumé, il distinguait Nico.

     

    Il retrouva tout le monde. Les toisa et ressentit la gêne qui les parcourait. Il lisait une sorte de honte dans les regards comme s’ils prenaient conscience de leur blasphème. Walli vint lui mettre une claque amicale dans le dos. Le plus heureux de tous sembla être le chauffeur. Le gros moustachu ne cessait de rire en se frottant les mains. Il avait du craindre pour sa santé et Alex se disait qu’il ne portait pas les deux frères dans son cœur. Ces chats vicieux et nerveux, trop imprévisibles. Il voyait en lui un brave homme.

     

    Il les suivit dans la salle de concert où était prévue une répétition avant la soirée. Les organisateurs, une bande d'allumés, s’étaient empressés d'ouvrir les portes avant de s’éclipser. Nico était à l’origine de cette faveur. Dans son idée il était urgent de recadrer le groupe autour de Lola. Il s’était réveillé obsédé par l’idée, voyant en elle un coup commercial énorme. Une illumination soudaine et alors tout devait aller très vite. Alex ne chercha pas d’explications sur ce thème. Il espérait néanmoins qu’ils ne s’aviseraient plus de venir lui demander des comptes. Il croisa Nico qui laissa échapper une lueur trop vive. 

     

     

     ;;;;;;;;;;..............................

     

     

    Le matériel était installé, et patientait sous les éclairages de scène dans la salle désertée. Ca ressemblait à un grand cube aveugle dont les gradins en pente et noyés d’ombre, descendaient jusqu’aux abords immédiats de la scène. Tout aurait été parfait si un écho difficile à contrôler n’était venu gâcher le son. La faute aux matériaux bon marché certainement. Les voix résonnaient avec des accents métalliques.

     

    -   Bah.. on fera ce qu’on pourra.. Siffla Kim prenant une moue écœurée. Debout derrière sa console en haut des gradins.

     

    Chacun prit sa place et Alex s’escrima sur sa vieille Fender. Elle devenait capricieuse et il eut  du mal à la faire sonner juste. Elle ne lui avait jamais paru si difficile à accorder. Se disant qu'il était temps qu'elle aille faire un tour chez le luthier. Il s’approcha de l’ampli et régla le son en grimaçant. Non loin Lola l’observait et trépignait. En trois jours elle en avait appris assez. Elle aurait pu passer pour une vieille routière aux yeux d’un quidam. Par certains côtés elle avait raison. Ce job était pour elle.

     

    -   Ca va être chaud.. Pensa Alex qui la matait alors qu’elle venait de lui tourner le dos.

     

    Chaude justement, la température ne l’était pas tant que ça. Ou alors c’était juste correct. Ce n’était pourtant pas l’avis de Nico qui se retrouvait avec un boléro ne pesant pas plus de quelques grammes sur les épaules. Ses bras blancs s'excitaient avant même la première note. Alex reniflait de la rage sur l’estrade.

     

    -   Un.. Deux.. Trois… Lâcha Nico avec une hargne qui laissait deviner comme il adorait envoyer le signal.

     

    Les Chiens Electriques entamèrent la répète avec un standard des vieux Animals, pour trouver le rythme. Mais une version recomposée, vraiment spéciale. Le thème devenait frénétique, très techno rock, alors que le refrain prenait des allures de symphonie. Le mélange était détonnant, beaucoup plus nerveux que l’original, avec de grandes envolées. Des pointes wagnériennes. Le batteur faisait cinquante pour cent du boulot sur la fin. Un long coda qu'il finit debout.

     

    -   … Don’t Let Me Be Misunderstood.. Asséna Nico seul après la dernière note. Sans micro. Il transpirait déjà comme s’il faisait quarante degrés.

     

    ;;;;;;;;;;;......................

     


    -   Attendez un peu les gars.. On va essayer d’arranger le son.. Fit Kim.

     

    -   On s’en fout.. C’est assez bon pour les demeurés du coin, pour ce qu’il nous paient.. Répliqua Nico.

     

    Ils venaient de débiter une dizaine de titres et Nico atteignait une forme d'extase, très loin des aléas techniques.


    -   Allez on reprend.. Mourir Avant l’Heure ...

     

    Il avait balancé la chanson en tournoyant, méprisant Kim  et ses réglages. Alex le vit de face, agité et donnant la mesure du pied droit. Un frisson le parcourut quand ses doigts délivrèrent les arpèges de l’intro. Il tremblait. Jamais encore une de ses chansons ne lui avait fait ça. Il se revit la composant avec Nico, coincés dans une chambre d’hôtel encore plus minable que celles de la tournée. Puis ils avaient liquidé une bouteille de scotch. Il ne se sentit pas au mieux quand le chanteur entama le couplet. Il peinait à avaler sa salive et cherchait à comprendre son malaise. Tout venait de ces images.

     

    -   Tu te fais vieux.. Il rumina à cet instant. Il aurait voulu sourire mais ne trouva qu’un rictus dans le fond de son âme.

     

    -   J’aime pas la vie qui coule doucement sous les ponts… J’aime pas les rivières apprivoisées.. Les fleuves tranquilles .. Où mon père me promenait le dimanche.. Sur une barque de bois blanc… Un cercueil pour les vivants…

     

    Nico ferma les yeux avec le refrain.

     

    -   .. Moi c’que j’veux.. C’est mourir avant l’heure.. en vrai chat de gouttière, un loup solitaire…

     

    Alex s’approcha de lui sans le quitter des yeux, fasciné et vibrant. Une inquiétude sourde le prenait. Mais la chanson continuait.

     

    -    J’aime pas la vie qui lentement va à la mer… J’aime pas les lacs au calme plat.. Les fleuves dociles ;. Où mon père me promenait le dimanche… Sur une barque de bois blanc;.. Un cercueil pour les vivants..

     

    Nico ferma les yeux.

     

    -    Moi c’que j’veux..  C’est mourir avant l’heure.. en vrai chat de gouttière, un loup solitaire ;.  

     

    -   ... D'une mort Triste et Violente...

     

    La musique s’envolait à partir de ces mots et Nico se contorsionait. Se moquant pas mal des gradins vides. Il finit par se rouler par terre et la minable salle des fêtes devint un bunker antiatomique. Elle gémissait, résistant comme elle pouvait à la déflagration. Alex se sentait mal. Il découvrait que cela aurait du être le groupe de sa vie. Qu’il ne reverrait jamais un miracle pareil, que c’était à prendre ou à laisser. Il claqua le dernier accord avec des larmes aux yeux, ses maigres cheveux collés sur le front. Alors il se tourna vers le sol et cracha, luttant contre les larmes. Il se disait qu’il avait quelques années de trop pour s’entendre avec les deux frangins, et que tout le problème était parti de là. Il voyait ça comme une sorte de crime. C’était pire qu’un ratage.

     

     

     

     

     


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    Alex la fixait bouche ouverte, saisi par la perfection sensuelle du tableau. Elle portait un gilet sans rien dessous, ayant conservé sa jupe de simili cuir, et les seins gonflaient le tissu prêts à s’envoler. Après les ténèbres du fourgon, l’apparition tenait du miracle.


    Il ne remarqua pas de suite la bière glacée qu’elle venait de déposer au sol. Se hissant à l’intérieur sans décrocher un mot, avec son sourire ambigu. Alex faillit se lever puis changea d’avis. Quelque chose venait de lui signifier qu’une bonne discussion l’attendait sur place. Après avoir franchi le seuil plutôt élevé et rampant à moitié, Lola vint carrément s’asseoir contre lui. Elle avait pris soin de refermer la porte en laissant juste passer un filet de lumière. Le puissant parfum émanant de ses cheveux lui fila le tournis. Tout  s’amplifiait dans une pareille expérience; Il en avait le souffle coupé. Elle tendit la bière et un soulagement extraordinaire s’empara de lui en découvrant la buée froide du verre. Il porta encore la bouteille à son visage pour se rafraîchir les joues avant de la déboucher. Puis l’engloutit presque d’un trait, pressé de voir s’éloigner la soif paralysante. Le liquide coulait dans sa gorge comme un petit ruisseau rieur. Frémissant, il s’essuya la bouche et se tourna vers elle.

     

    -    C’est le chaud et le froid si je comprend bien… ça t’apporte quoi, ce jeu pourri ,.. On est plus des gamins.. Il lui fit

     

    -   T’as raison, mais c’était pas mon idée.. Depuis que je leur ai parlé de ce fric, ils deviennent tous fous.. On peut plus les tenir…

     

    -   Je devine pas la raison qui ta poussé à les mettre dans le coup… Il t’aurait suffi de partager avec Jeff, et chacun suivait son chemin.. Maintenant on sait plus où on va ;.

     

    -   C’est pas si simple… Jeff ne m’aurait jamais lâché, il devenait fou à chaque fois qu’il sentait que je pouvais lui échapper, et puis il faut pas oublier qu’il a toute une armée aux fesses.. Ca commençait à être risqué de se maquer avec lui.. Après tout le fric me revient tout autant.. Qu’est-ce t’en Dis ?..

     

    -    Ouaih.. t’as pensé à le sacrifier en pleine guerre.. C’est une façon de voir la vie;. et si je te comprend bien, les sentiments n'ont rien a voir là dedans..

     

    -    Il faut se montrer réaliste.. Oui.. une façon de voir la vie ;. Comme tu dis.. Elle répliqua d’une voix humide.

     

    Elle continua.

     

    -   Je suis réaliste justement.. ce qui nous ramène à a question des billets envolés...

     

    -   Oh Alex.. Fit-elle en se collant à ses jambes.

     

    Une boule lui descendit de la glotte au contact de sa peau. Il ressentit un vrai malaise quand elle lui entoura un mollet de ses doigts souples, des palpitations qui ressemblaient à un courant de faible tension. Dans la première minute il se laissa juste faire. Tenté de voir si elle avait quelque chose de sérieux à lui offrir. Elle se mit à le happer avec délicatesse, à la manière d’une geisha. C’était la douceur d’une jeune plante carnivore. Lui léchant les joues et la bouche qu’il avait salées. Puis tout s’embrasa quand il posa ses mains sur elle, d’un coup, comme s’il avait retenu un torrent de lave qui venait de brûler ses pauvres résistances. Il lui écarta les cuisses, arrachant le slip d’un geste violent, se précipitant sur ses seins. Tous deux haletaient et cela s’entendait jusqu’à l’extérieur. Sur le fond de ciel blanc Bœuf observait le fourgon d’un regard rigide. Il entendait nettement le grincement saccadé et régulier de la caisse. Parfois même il lui semblait que les amortisseurs s’en mêlaient.

     

     

     


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    Alex n’en crut pas ses oreilles quand on l'invita à monter dans le fourgon. Tout devenait surréaliste, et il découvrait une surprenante forme de voyager. Vu qu'il ne s'agissait pas de grimper dans la confortable cabine mais de s'en aller pourrir à l'arrière, dans la caisse. Il était écrit quelque part que ce jour lui serait compté double.

     

    Devant ses réticences Bœuf n’hésita pas à lui caresser les omoplates, et à contempler les têtes de Matt et Kim dans ce coin discret du parking, il se dit que ça n’arrangerait pas son histoire de tenter l’épreuve de force. Juste avant, Nico était lui aussi revenu à la charge.

     

    -    Putain… Mais tu vas pas jouer au con toute ta vie.. Il s’était écrié en serrant les dents. Il fallut l’intervention de Lola pour l’empêcher de dégainer comme si les armes étaient devenues sa nouvelle nature.

     

    -    Je me demande ce qui peut les rendre fous à ce point ;. Ca peut pas être le fric, un engrenage peut-être ;. Ils se sont mis à frimer entre eux et c’est une sorte de concours maintenant…

     

    -    Tu t’y prends mal..  avait affirmé Lola.

     

    Alex estima qu’elle mijotait un plan. Pourtant l’idée de le planquer dans le noir absolu venait de Nico. Sous prétexte que ça garantissait sa présence jusqu’au retour des billets. Alex se demanda si avec un tel procédé il aurait craqué étant réellement en possession du magot. Il faut s’imaginer ce que signifie un petit voyage entre les quatre tôles aveugles d’un fourgon. Une chambre de torture dont on a pris soin de démonter la poignée intérieure. L’engin était quasiment vide, tout le matériel avait déjà été remonté dans la salle de concert à une trentaine de kilomètres. La tournée bénéficiait toujours de la logistique accordée au groupe vedette lourdé par Boyarkan.

     

    Dans un premier temps le vide lui avait permis de s’allonger et même de somnoler. Mais dès qu’ils avaient pris la route, il lui avait fallu s’accrocher pour ne pas valdinguer de tous les côtés. A se demander si le chauffeur visait chaque trou de la chaussée par pur sadisme. Il se retrouvait couvert de bleus quand le fourgon s’immobilisa enfin, après un ultime coup de frein qui l’envoya bouler contre la cabine. Il ne douta pas une seconde au sujet du coup de frein. Il faisait partie de la punition.

     

    -    Et les mecs.. faite moi sortir de là.. Il cria en entendant des pas s’éloigner.

     

    -    Ta gueule.. Lui répondit bœuf à travers la tôle, et en balançant une claque sur la ferraille. A l’intérieur le bruit résonnait comme une cloche. Alex pensa que Bœuf devait continuer à le surveiller de près et que tout était combiné d’avance. Ce n’était rien de plus que du cinéma. Il en était certain mais ne put que s’asseoir la tête entre les mains.

     

    -    Bœuf je meurs de soif.. Ouvre s’il te plait.. Il fit plus tard.

     

    Pour toute réponse il entendit siffloter une chanson qu’il connaissait bien. La Ballade du Prisonnier.. un autre grand classique de Freddy. Il pensa qu’ils comptaient le laisser mariner jusqu’à ce que sa chair soit suffisamment ramollie. D'autant que le noir commençait à le hanter. Il se découvrait légèrement claustrophobe et sentit que ça pouvait virer à la panique. Pour donner le change il ne trouva rien de mieux qu’à reprendre la mélodie. Siffler ainsi sur le même ton que Bœuf lui fit retrouver un brin de courage. Soudain des voix lui parvinrent. Celles d’inconnus qui passaient innocemment à proximité. Il manqua d’appeler à l’aide, mais les sons s’étouffaient, parvenant à ses lèvres sous forme de borborygmes. Les paroles de Léonardo dans les senteurs âcres des urinoirs, venaient de l’assommer.

     

      ‘’ T’auras du mal à expliquer aux juges que t’es innocent dans tout ce cirque.. recel de tueurs.. ça va chercher dans les cinq piges, et peut-être plus si on appuie un peu dessus.. à ta place je réfléchirais vite… ‘’

     

    -    T’avais jamais imaginé baigner un jour dans un volcan.. Et mieux encore;. rien ne dit que la fin de l’histoire te convienne.. Il pensa amèrement.

     

    S’avouant  qu’il ne pourrait pas fuir très loin sans rendre de comptes. Ce qu’il savait depuis un moment même si son esprit s’évertuait à prétendre le contraire. Entre les millions volatilisés et la mort du vieux, plus quelques autres anecdotes assez mineures, il y avait de quoi l’envoyer tout droit devant un jury populaire. Le genre qui n’apprécie pas du tout les guitaristes aux cheveux rouges accrochés comme des timbrés à un bout de bois déverni sous prétexte que c’est une Fender de soixante cinq. D'un coup Léonardo lui apparut comme son unique bouée de sauvetage.

     

    A présent il supportait mal l’air confiné et moisi du fourgon. Il crut qu’une ombre le frôlait et eut un frisson. Il lui sembla entendre le vieux ricaner dans la brume.  Sa voix montait de la plaine et derrière lui courait son chien loup aboyant. Une autre vision lui vint à la suite. Il se revoyait sur la route de campagne déserte et froide. Profitant d’une sensation d’espace et de vert frais à l’infini. Avec cette route qui semblait franchir un horizon resplendissant comme un miroir. Il se dit qu’il aurait du marcher sans jamais s’arrêter, à s’en faire saigner les pieds. Ainsi il serait arrivé un matin sur une autre planète, sans réel effort, ne constatant aucune peine. Découvrant une terre bourrée de plantes aux fruits mûrs et juteux qui auraient le pouvoir de couper instantanément la soif. Et où toutes les filles ressembleraient à Lola… Sauf qu’elles ne passeraient pas leur temps à cavaler derrière des millions ou d’autres breloques aussi malsaines.

     

    -    Mais au fait.. C’était quand déjà tout ça ?…

     

    Il lui fallut réfléchir intensément pour retrouver la date exacte qui l’avait vu jeté dans ce matin froid et incertain nappé de brouillard. Il fut stupéfait de réaliser que le début de l’histoire ne remontait pas au delà de.. Il en Etait au Sixième Jour… Avec un peu moins de bon sens il aurait parié sa guitare que l’affaire durait depuis des années. Jurant que tout avait démarré à l’heure précise où Freddy avait repris la route sans lui.

     

    Le loquet de la porte grinça et un rai de lumière traversa le fourgon, le touchant en plein front. Alex sursauta et d’une main se cachait les yeux qui brûlaient. La porte s’ouvrit en grand, et la silhouette de Lola s’inscrivit sur le ciel bleu.

     

     

     

     

     

     


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    Il se dirigea vers les toilettes en évitant le flic. A l’intérieur il prit place devant l’urinoir et attendit. Quelqu’un toussa en rentrant, et dans le miroir il aperçut Léonardo. Lui s’installa à son tour et déboutonna son pantalon, laissant un jet continu marteler la faïence. Le flic attendit patiemment que le bruit cesse pour prendre la parole.

     

    -    Il y a eu du grabuge la nuit dernière.. Tu l’as échappé belle mon bonhomme.. 

     

    -    Qui vous en a parlé ?.. Demanda Alex.

     

    -    Je faisais un petit somme dans la voiture, deux rues à côté.. Le temps que j'émerge, localise les coups de feu et rapplique.. c’était fini, ton pote s’était fait la malle ;. Il restait que du sang frais sur la terre pour régaler les fourmis.. Puis je vous ai rattrapé à l’hôtel, j'étais à trois mètres de vous dans l'escalier, et là j’ai tout compris… Heuh.. heuh.. Mais lui on le retrouve nulle part, ni dans les hôpitaux, ni à la morgue, et les flics du quartier n’ont rien vu, rien entendu.. Alors il est en Vie… Je vous piste depuis le carnage de la ferme, t’as servi de chèvre au grand méchant loup.. Une chance du tonnerre.. Quoi !..

     

    -    Il s’en est pris une dans le bide.. Je sais pas s’il tiendra longtemps.. Murmura Alex.

     

    -    C’est une possibilité.. Mais il y a rien de certain, s’il est parti au grand galop c’est qu’il va pas trop mal ;. On a affaire à un coriace… Et je commence à en savoir long sur lui.. Ancien commando, avant d'être viré de l’armée, de belles embrouilles un peu partout, et même un meurtre jamais élucidé.. Son seul défaut pour réussir une carrière de truand.. c’est son esprit.. Il a pas le genre, c’est plutôt un paumé, un solitaire.. Pour ce qui est de la fille.. Lola ;. Elle a une réputation de michetonneuse de première..

     

    -   .. Elle s'appelle même pas Lola, .. c'est un nom de guerre..

     

    Il ricana.

     

    -   Je me demande c'quelle a dans le crâne;. Il ajouta.

     

    -    Vous auriez pu les coincer;.. Qu'est-ce qui vous en a           empêché ?..

     

    -    C'est personnel... Je t'expliquerais un jour...

     

    La réponse le désorienta. Comme le ton employé.

     

    -    Vous voulez quoi de moi ?.. Il fit alors péniblement. La bouche séchée par l’arôme acide de la cuvette.

     

    -    Très simple l’artiste…

     

    Léonardo laissa passer quelques secondes, puis se reprit. Le temps pressait.

     

    -    Ce Jeff va rappliquer d’ici peu.. C’est mon instinct qui PARLE.. Tu vas rester au Contact..  et à un moment ou un autre il faudra me le positionner en pleine lumière.. Il en Ira de Ta Survie..

     

    -    Et pourquoi je ferais ça ?.. Je vois pas mon intérêt de croupir dans ce nid de vipères.. Je prend le train ce soir.. C’est fini pour moi..

     

    -    Mmmh.. mmh.. Je connais deux raisons valables pour te faire changer d’avis.. D’abord tes petits copains vont pas te lâcher la grappe, pas vrai ?.. Et secundo.. T’auras du mal à expliquer aux juges que t’es innocent dans tout ce cirque.. recel de tueurs.. ça va chercher dans les cinq piges, et peut-être plus si on appuie un peu dessus.. à ta place je réfléchirais vite…

     

    -    Quelles sont les conditions ?.. Fit Alex qui se sentait nauséeux.

     

    -    T’as ma carte… Tu t’en souviens j’espère.. T’auras qu’à jurer une bonne fois pour toute que tu m’as appelé à l’aide, et qu’en bon samaritain je suis venu voir de quoi il en retournait.. L’ex guitariste de Freddy.. Tout est venu de là c’est pas vrai ?.. Et si je peux t’assurer un truc.. C’est que j’ai une parole…

     

    -    C’est un marché foireux.. Fit Alex.

     

    -    Il faut t’en prendre au destin, pas à moi.. C'est lui qui t’a jeté du bus à côté d’Hiroschima..

     

    -    Nom d’un chien.. Grommela Alex.

     

    -    Le mot qui convient.. Ironisa Léonardo en retirant ses mains de l’évier.

     

    La porte s’ouvrit à cet instant et Bœuf pénétra dans la pièce malodorante.

     

    -    T’en mets du temps.. Tu téléphonais au Saint Esprit ou quoi ?..

     

    -    Tu crois pas si bien dire… Je lui faisais ma prière, et j’avais besoin de me confesser… Répliqua Alex ;

     

    -    J’ignorais que l’envie de pisser te rendait mystique.. Mais ça m’étonne pas après tout..

     

    Bœuf dégrafa sa braguette en ricanant. Seulement l’état de son nez lui donnait un rictus sinistre. Léonardo le surveillait dans le miroir au dessus de l’évier, se frottant la figure avec une serviette pour ne pas être repéré

     

     

     

     

     


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