• Tu te magnes Fils de Pute (94)

     

    Le groupe s’avança en file serrée vers la porte. C’étaient dix silhouettes qui cahotaient entre les véhicules abandonnés sur le parking de terre, des êtres gris et chancelants qui n’osaient plus se regarder entre eux. Au milieu Nico était soutenu par son frère d’un côté et Matt de l’autre. Il retenait un râle à chaque fois que son pied frôlait le sol. Jeff se tenait à l’arrière, en alerte et traversé de mouvements qui devenaient incohérents. La fatigue et la douleur avaient fini par le caricaturer. Le guerrier fou avait remisé la grenade dans une poche, et de ses deux mains serrait le pistolet mitrailleur masqué par un sachet de plastique. Côtoyant le Canons Sciés. Il avait le blouson rempli de munitions et son deuxième flingue lui faisait mal au niveau du ventre, coincé dans la ceinture. Le chauffeur ouvrait la marche suivi par Lola. Karine sombrait dans un état second. Alex se traînait avec lassitude. Chaque minute supplémentaire au milieu du cirque l’écœurait  davantage. Il mesurait que son existence avait basculé quelle que soit l’issue de l’aventure. Par moment il aurait voulu se réveiller et découvrir qu’il se remettait mal d’une mauvaise indigestion. Que tout n’était qu’un rêve affreux alors qu’une belle journée ensoleillée l’attendait au dehors. Il ne se souvenait même plus qu’un matin il avait voulu se venger, et que l’envie fut si forte qu’il s’était mis à trafiquer son destin. Ecrivant un scénario qu’il aurait mieux fait de mettre noir sur blanc pour un éditeur. Ce qui l’aurait  certainement soulagé et causé bien moins de dégâts. Il aurait même pu en composer la bande son si un jour quelqu’un s’était mis en tête de l’adapter au cinéma. Mais découvrant surtout qu’il était né pour accompagner l’agitation humaine de sa vieille et magnifique Fender de soixante-cinq, en évitant le plus possible de s’en mêler. Acceptant ainsi qu’il ne brillerait jamais dans les faits bruts. Il venait de comprendre que la vie réserve une place à chacun et qu’il vaut mieux ne pas la bousculer au delà d’une certaine mesure.

     

    -     T’as voulu jouer cette partie comme si t’écrivais une chanson..

     

    Il songea d’une mine grise.

     

    -      Mais les musiciens ne meurent pas dans les chansons ;.. c’est que des comédiens.. Ils pleurent, menacent, gesticulent, font semblant et on les applaudit à la fin du spectacle ;.

     

    Il examina le genou de Nico dans un interstice de la file, et ne put que grimacer.

     

    Au delà des immeubles, le soleil s’estompait, et une ombre légère prenait déjà possession du parking. Dans un rapide regard circulaire Il se demanda si on les observait d’une des nombreuses fenêtres alentours, ou si derrière celles-ci, on se fichait au fond pas mal de leur sort.

     

    -       Bougez plus.. Intima Jeff.

     

    Il se glissa à l’avant et flanqua un coup de pied sur la porte métallique qui s’ouvrit sans peine. Il en avait déjà forcé la serrure.

     

    -      Lola amène toi ;. Il fit.

     

    Lola s’avança et pénétra dans la pièce qui sentait le linge humide. Des sacs et des draps y étaient entreposés le long d’un mur. La chaudière ronronnait à l’autre bout où s’ouvrait un couloir sombre.

     

    -    Jeff la fixa.

     

    -      Tiens.. Je te fais confiance, y a plus de raisons… Hein ?..

     

    Il lui passa le Canons Sciés dont elle s’empara avec un sourire nerveux.

     

    -      Je t’ai montré comment on s’en sert ;. Tu te rappelles au moins ;. On avait tiré sur des bouteilles tout un après-midi..

     

    Lola empoigna l’arme d’un air désenchanté. Puis le groupe s’avança dans la pièce poussé par karine, et Jeff vérifia que personne ne manquait. Ils prirent de la même façon le long couloir qui débouchait sur le hall d’entrée. Sauf que Lola marchait devant en cherchant à dissimuler l’arme sous sa veste. Il était manifeste que ce dernier rôle l’agaçait. Sa légèreté naturelle s’accordait mal de cette péripétie. Elle aurait voulu ramasser la mise après que les uns et les autres se soient entretués sans avoir à essuyer une goutte de sang sur sa peau claire et délicate. Jeff dans sa folie avait choisi de la mouiller jusqu’au cou et elle savait qu’elle ne pourrait plus y couper. Ce serait la cavale infernale avec lui ou l’apocalypse, il n’existait pas de troisième alternative. Elle allait pousser la porte du hall quand elle la vit s’ouvrir toute seule devant elle. Le proprio s’y découpait dans l’encadrement et tous deux se retrouvaient nez à nez. Le petit homme ouvrit une bouche immense à sa vue et vacilla. Lola manqua d’éclater de rire. Elle avait tout simplement oublié le fusil de chasse entre ses mains, qu’elle dirigeait d’ailleurs à cet instant droit sur le type. Par un réflexe imbécile aussi il se mit à crier, et Jeff se détendit pour lui claquer son arme en pleine tempe. Le petit homme s’affaissa en couinant. Se recroquevillant piteusement sur le carrelage humide. Jeff releva la tête et aperçut deux clients en bleu de travail au bas de l’escalier. Raidis par l’émotion.

     

    -      Vous avez jamais rien vu… bande de crétins ;.. Leur lança Karine.

     

    -       Dégagez là dedans.. Hurla Jeff en pointant la réserve, un grand placard à balais entrouvert à l’angle du comptoir.

     

    -      Non.. Il se reprit.. videz vos poches d’abord..

     

    Les types s’exécutaient et il les dépouilla de leurs papiers comme des téléphones. Ramassant un trousseau de clés il colla le canon de l’arme sur le front du type. Un noir d’une cinquantaine d’années qui claquait des dents.

     

    -       Elle est où ta bagnole.. vite.. et c’est quelle marque ?;.. Il grogna.

     

    L’ouvrier aurait bien voulu répondre seulement l’angoisse contrôlait ses mâchoires.

     

    Jeff lui mit une baffe de l’autre main.

     

    -    Tu te magnes fils de pute..


    Le type bégaya.

     

    -     C’est la Nissan bleue sur le parking derrière ;. Il y a une attache remorque.. On peut pas se tromper…

     

    Puis il se perdit dans des propos inaudibles. Il était clair que le gars lui aurait signé l’acte de vente si Jeff le lui avait demandé. Les deux clients s’en allèrent presque d’eux mêmes se fourguer dans le réduit qu’il leur avait indiqué. Mais il n’en avait pas fini. Revenant vers l’hôtelier toujours assommé, il le saisissait par un pied et le traînait sans ménagement, lui faisant rejoindre le même placard qu’il refermait à clé. Une vieille radio allumée dans le hall se mit à débiter My way en sourdine. C’était maintenant au chauffeur du bus que s’en prenait Jeff. L’attrapant au col et le secouant avant de lui coller le canon de l’arme aux reins. L’homme ne semblait plus tenir debout que par une espèce de miracle.

     

    -      Tu vas nous amener au pognon ;. Et il vaut mieux qu’il soit là où tu m’as dis…

     

    Il lui avait parlé avec un genre de mousse ou de bave aux lèvres. Le chauffeur manqua de s’évanouir et serait certainement tombé sans la poigne de Jeff. Il dut encore le soutenir de cette façon en le dirigeant vers l’escalier. Tous s’apprêtaient à lui emboîter le pas quand il se retourna.

     

    -       Non.. toi tu reste ici.. Il cria en désignant Nico.

     

    -       Tu vas pas nous emmerder avec ta patte folle.. Karine tu restes avec lui, et boucle l'entrée.. Perds pas de temps… les autres vous me suivez..

     

    -       Il s’engouffra dans l’escalier avec un rictus inquiétant, et il aurait été difficile de mesurer le degré de lucidité réel dont il pouvait encore disposer. Après quoi le reste de la bande le suivit sans un mot. Comme si tout avait été réglé d’avance.

     

     

     

     

     


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