• Un Coup Commercial Enorme (85)

     

    -   On va régler l’affaire tous les deux, hein Alex.. que toi et moi.. c’est pas vrai ?..

     

    -   Si tu veux Lola, mais il faudra que tu me donnes la combine.. Je suis prêt à répéter tout ce que tu veux.. T’as qu’à parler la première, et je répèterais sans changer un mot.. Il fit en se relevant.

     

    Il repoussa la porte du fourgon et aperçut Bœuf sur un muret à une dizaine de mètres. Le jour l’aveuglait.

     

    Il avala de grandes bouffées d’air et descendit. Une pesanteur particulière l’accueillait, une atmosphère tourneboulée. Il observa le bâtiment à proximité où aurait lieu le concert. C’était une masse cubique posée en plein champ, couleur gris ciment. Un bunker hideux sorti de l’imagination d’un élu local qui voulait y voir collé son patronyme. Derrière lui Lola quittait le fourgon à son tour, la mine brouillée. Alex l'ignora. Il ne pouvait résoudre le problème qu’elle lui posait.

     

    Quand un ronronnement se fit entendre, il se retourna et vit le fuselage or et noir du bus qui s’amenait, étincelant sous de minuscules rayons du soleil haut dans le ciel. A l’avant derrière le pare-brise fumé, il distinguait Nico.

     

    Il retrouva tout le monde. Les toisa et ressentit la gêne qui les parcourait. Il lisait une sorte de honte dans les regards comme s’ils prenaient conscience de leur blasphème. Walli vint lui mettre une claque amicale dans le dos. Le plus heureux de tous sembla être le chauffeur. Le gros moustachu ne cessait de rire en se frottant les mains. Il avait du craindre pour sa santé et Alex se disait qu’il ne portait pas les deux frères dans son cœur. Ces chats vicieux et nerveux, trop imprévisibles. Il voyait en lui un brave homme.

     

    Il les suivit dans la salle de concert où était prévue une répétition avant la soirée. Les organisateurs, une bande d'allumés, s’étaient empressés d'ouvrir les portes avant de s’éclipser. Nico était à l’origine de cette faveur. Dans son idée il était urgent de recadrer le groupe autour de Lola. Il s’était réveillé obsédé par l’idée, voyant en elle un coup commercial énorme. Une illumination soudaine et alors tout devait aller très vite. Alex ne chercha pas d’explications sur ce thème. Il espérait néanmoins qu’ils ne s’aviseraient plus de venir lui demander des comptes. Il croisa Nico qui laissa échapper une lueur trop vive. 

     

     

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    Le matériel était installé, et patientait sous les éclairages de scène dans la salle désertée. Ca ressemblait à un grand cube aveugle dont les gradins en pente et noyés d’ombre, descendaient jusqu’aux abords immédiats de la scène. Tout aurait été parfait si un écho difficile à contrôler n’était venu gâcher le son. La faute aux matériaux bon marché certainement. Les voix résonnaient avec des accents métalliques.

     

    -   Bah.. on fera ce qu’on pourra.. Siffla Kim prenant une moue écœurée. Debout derrière sa console en haut des gradins.

     

    Chacun prit sa place et Alex s’escrima sur sa vieille Fender. Elle devenait capricieuse et il eut  du mal à la faire sonner juste. Elle ne lui avait jamais paru si difficile à accorder. Se disant qu'il était temps qu'elle aille faire un tour chez le luthier. Il s’approcha de l’ampli et régla le son en grimaçant. Non loin Lola l’observait et trépignait. En trois jours elle en avait appris assez. Elle aurait pu passer pour une vieille routière aux yeux d’un quidam. Par certains côtés elle avait raison. Ce job était pour elle.

     

    -   Ca va être chaud.. Pensa Alex qui la matait alors qu’elle venait de lui tourner le dos.

     

    Chaude justement, la température ne l’était pas tant que ça. Ou alors c’était juste correct. Ce n’était pourtant pas l’avis de Nico qui se retrouvait avec un boléro ne pesant pas plus de quelques grammes sur les épaules. Ses bras blancs s'excitaient avant même la première note. Alex reniflait de la rage sur l’estrade.

     

    -   Un.. Deux.. Trois… Lâcha Nico avec une hargne qui laissait deviner comme il adorait envoyer le signal.

     

    Les Chiens Electriques entamèrent la répète avec un standard des vieux Animals, pour trouver le rythme. Mais une version recomposée, vraiment spéciale. Le thème devenait frénétique, très techno rock, alors que le refrain prenait des allures de symphonie. Le mélange était détonnant, beaucoup plus nerveux que l’original, avec de grandes envolées. Des pointes wagnériennes. Le batteur faisait cinquante pour cent du boulot sur la fin. Un long coda qu'il finit debout.

     

    -   … Don’t Let Me Be Misunderstood.. Asséna Nico seul après la dernière note. Sans micro. Il transpirait déjà comme s’il faisait quarante degrés.

     

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    -   Attendez un peu les gars.. On va essayer d’arranger le son.. Fit Kim.

     

    -   On s’en fout.. C’est assez bon pour les demeurés du coin, pour ce qu’il nous paient.. Répliqua Nico.

     

    Ils venaient de débiter une dizaine de titres et Nico atteignait une forme d'extase, très loin des aléas techniques.


    -   Allez on reprend.. Mourir Avant l’Heure ...

     

    Il avait balancé la chanson en tournoyant, méprisant Kim  et ses réglages. Alex le vit de face, agité et donnant la mesure du pied droit. Un frisson le parcourut quand ses doigts délivrèrent les arpèges de l’intro. Il tremblait. Jamais encore une de ses chansons ne lui avait fait ça. Il se revit la composant avec Nico, coincés dans une chambre d’hôtel encore plus minable que celles de la tournée. Puis ils avaient liquidé une bouteille de scotch. Il ne se sentit pas au mieux quand le chanteur entama le couplet. Il peinait à avaler sa salive et cherchait à comprendre son malaise. Tout venait de ces images.

     

    -   Tu te fais vieux.. Il rumina à cet instant. Il aurait voulu sourire mais ne trouva qu’un rictus dans le fond de son âme.

     

    -   J’aime pas la vie qui coule doucement sous les ponts… J’aime pas les rivières apprivoisées.. Les fleuves tranquilles .. Où mon père me promenait le dimanche.. Sur une barque de bois blanc… Un cercueil pour les vivants…

     

    Nico ferma les yeux avec le refrain.

     

    -   .. Moi c’que j’veux.. C’est mourir avant l’heure.. en vrai chat de gouttière, un loup solitaire…

     

    Alex s’approcha de lui sans le quitter des yeux, fasciné et vibrant. Une inquiétude sourde le prenait. Mais la chanson continuait.

     

    -    J’aime pas la vie qui lentement va à la mer… J’aime pas les lacs au calme plat.. Les fleuves dociles ;. Où mon père me promenait le dimanche… Sur une barque de bois blanc;.. Un cercueil pour les vivants..

     

    Nico ferma les yeux.

     

    -    Moi c’que j’veux..  C’est mourir avant l’heure.. en vrai chat de gouttière, un loup solitaire ;.  

     

    -   ... D'une mort Triste et Violente...

     

    La musique s’envolait à partir de ces mots et Nico se contorsionait. Se moquant pas mal des gradins vides. Il finit par se rouler par terre et la minable salle des fêtes devint un bunker antiatomique. Elle gémissait, résistant comme elle pouvait à la déflagration. Alex se sentait mal. Il découvrait que cela aurait du être le groupe de sa vie. Qu’il ne reverrait jamais un miracle pareil, que c’était à prendre ou à laisser. Il claqua le dernier accord avec des larmes aux yeux, ses maigres cheveux collés sur le front. Alors il se tourna vers le sol et cracha, luttant contre les larmes. Il se disait qu’il avait quelques années de trop pour s’entendre avec les deux frangins, et que tout le problème était parti de là. Il voyait ça comme une sorte de crime. C’était pire qu’un ratage.

     

     

     

     

     


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