• Ce Putain de Cochon (6)



    Il lui semblait que flic ou truand, on le devenait alors avec une sorte de volonté propre, comme on choisirait normalement son métier. Le monde avait besoin tout autant des uns et des autres. Mais on pouvait aussi finir pharmacien ou plombier, la morale n ‘avait rien à y voir. Il se souvenait seulement que tout ça c’était bien avant qu’il se mette à chasser des types partant bille en tête vivre leur vie comme un film d’horreur. Des malades qui se trafiquent leur cinéma en ne sachant plus très bien où commence et finit la réalité.

     

    Et en ce temps là, quand un flic avec sa stature criait.. On Ne Bouge Plus.. les Mains en l’Air !.. , en principe on s’immobilisait sur place sans rechigner. D'autant que la nature lui avait accordé une vraie voix de flic. Un organe sans ambiguïté, rauque et puissant. Rassurant pour tout le monde au fond, y compris pour les voyous qui savaient à quoi s'en tenir. L'époque était plus logique et les affranchis tenaient toujours en réserve un alibi plus ou moins sérieux. Une sorte de joker que l’on brandissait délicatement du bout des doigts en échangeant un demi-sourire, et dans certains cas comme un soupçon de sympathie, un début de complicité. Les deux camps n’étaient pas dupes, et savaient que leurs affaires reposaient entièrement sur l’adversaire. Des rues sans truands mettaient les uns au chômage définitif, et sans flics pour redresser les mauvais garçons, le pays dans son ensemble se serait montré invivable pour tout le monde. Or, les truands aussi ont besoin de se reposer, ils fatiguent comme n'importe qui, et des villes soumises à la loi du plus fort vingt quatre heures sur vingt quatre, ne sont plus sûres pour personne.. Puis les voyous eux mêmes finissent par prendre leur retraite avec l’âge, et à partir de là ils sont souvent les premiers à exiger un peu de tranquillité. Ainsi la paix armée est assurée à la grande satisfaction du public, mais à l’unique condition que les règles soient bien comprises par tous. L’équilibre social se révélant trop fragile pour fonctionner au bénéfice d’un seul camp. Voilà pourquoi il avait le sentiment que les parties d’entant se jouaient entre gens bien élevés.

     

    L’officier Léonardo venait de s’échauffer dans cet éclair de nostalgie. Il maudissait cette damnée partie de campagne, et la maudite cible attifée comme un clown qui continuait d’avancer. Dans ses entrailles une pelletée de galets définitivement indigestes pour son estomac de flic, avait remplacé son déjeuner du matin. La puissance de feu de l’escouade qui aurait pu ouvrir une galerie de chemin de fer au travers de la cible finit par l’écœurer. A quoi bon faire le malin en public avec un petit canon à bout de bras si pour s’en servir il faut en passer par une multitude de simagrées. Soudain dans le ventre les petits galets se mirent à rougir au contact de son sang retourné. Ses pupilles qui lui accordaient une vision de dix sur dix depuis son enfance, ne lui restituaient plus qu’une image informe et brouillée. La veste de satin noir qui à huit mètres devant luisait sous la lumière de ce matin d’avril, ne se contentait pas de le fuir avec l’énergie d’un cochon sauvage. Elle le ridiculisait.

     

    -         Ce putain de cochon.. On me la fait pas à moi..

    -          

    Il manqua de s’étrangler. Puis il se retrouva enveloppé d’un brouillard au milieu d’une lande pâle et qui appelle au meurtre. En lui régnait la confusion, comme une chasse au fantôme, d’un vide aussi étrange que celui qui régnait dans le cerveau d’Alex. Sans doute que le coup de folie extraordinairement silencieux chez l’un, appelait une furie parallèle dans l’esprit de l’autre. Et en une fraction de seconde il se crispa dangereusement, ce que sentit d’instinct son coéquipier positionné à sa gauche.

    -         Fais pas le con !..

    Marmonna ce dernier en détournant ses yeux dans lesquels se lisait l’effroi. L’index de l’officier pressait déjà la détente de son arme, et un long grognement quitta sa bouche.

     

    Le cri les avait tous sauvé. Ce fut l’ultime soupape sans laquelle le guitariste était percé de part en part, et quand à lui, il pouvait être assuré de faire les gros titres des journaux. Il y a longtemps que les flics aussi savent comme tout est incertain dans le monde moderne. La détonation ébranlait toujours le silence végétal et roulait par vagues jusqu’aux collines pour revenir en écho à son point de départ. Quand le silence reprit chacun eut le sentiment de vivre au ralenti. Et devant eux, sur le bas côté de la route.. Alex se retournait..

     

     

     

     


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