• Fils de Pute... (53)

     

    ….. – Et je vous demande maintenant une minute de silence… A la mémoire de JOHN LENNON..

    Les lumières illuminèrent la scène d’une couleur unique, un blanc éclatant dans lequel se découpait la silhouette de Nico, torse nu et les bras en croix. Une guitare pendait sur son ventre, on eut dit un Christ sous amphétamines. Dans l’éblouissement des projecteurs on ne distinguait plus rien de ses traits. Les autres musiciens se figeaient sur place. Pour un tableau fulgurant de clarté, comme le vrai paradis. Les quelques centaines de spectateurs n’occupaient que la moitié de l’espace, mais ils n’en étaient pas moins baignés de sueur, et des grappes de visages rouges collaient contre la scène. Nico les dominait et allongeait la bouche comme s’il leur soufflait dessus, les asphyxiait de son haleine. A un mouvement de sa main Bœuf entama un rythme sourd et obsédant de grosse caisse, que Nico d’abord puis tous les autres relayaient d’un même long balancement de la jambe droite. Nico semblait décidé à finir en Christ de plâtre et le reste de son corps conservait une immobilité absolue. Face à lui des dizaines de bras levés comprenaient ce que l’on attendait d’eux et se mirent à claquer en cadence. Il n’y eut plus qu’un seul son, et une légion de robots, un martèlement sinistre qui dura toute la minute.

    Jusqu’à ce que d’un seul coup la voix de Nico transperça les murs.

    – Qu’il CREEVVE en ENFFEER…. Il hurla d’une voix tordue. Crachant comme un malpropre sur la mémoire du vieux Lennon.

    Dans la salle ils étaient peu à se rappeler de qui il s’agissait et le sacrilège finit dans les postillons des premiers rangs en nage. Le groupe reprit le morceau interrompu deux minutes plus tôt dans des glissements d’accords et une charge de batterie. Nico renversé, se laissait tomber sur les premiers rangs, puis d’un coup de reins et cassé en deux, revenait à sa place. En fond de scène Alex remuait à peine en alignait ses gammes. Tapissant les rythmes de perles d’acier qui fusaient comme des balles aux quatre coins de l’immense discothèque. Quand il jouait tout devenait possible, les figures les plus risquées se transformaient en simples fantaisies. Un mur de feu protégeait le groupe comme un filet tendu par le Diable.

    La salle était en transe, c’était le troisième rappel.

    Dans un coin d’ombre des coulisses, sur le côté gauche, Lola était pétrifiée. Son regard hésitait sans cesse entre le profil doux d’Alex qu’elle distinguait noyé dans les lumières, et la puissance animale, l’énergie brutale de Nico. Un peu en retrait Jeff ne parvenait plus à cacher sa nervosité. Il n’aimait pas les yeux ronds et luisants de sa compagne qui ne s’était pas retournée une fois depuis le début du concert. Par contre pour ce qui était de la musique ça ne l’impressionnait guère. Il pressentait seulement que les calibres et même les sacoches de billets ne signifiaient plus grand chose dans l'immédiat. Sa femme fixait le paradis.

    Alors un dernier son de guitare trancha l’air comme une lame de couteau géante, suivi d’un roulement de tambour, et le groupe quitta la scène après que Nico ait levé une ultime fois son poing vers le plafond. Les sifflements du public n'en finissaient plus. Il voulut courir en direction de la loge, quand il trébucha sur Lola. L’agrippant par le bras il se pencha sur son cou nu qu’il renifla et lécha. Avant de l’embrasser à pleine bouche. De la sueur dégoulinait de ses flancs et en le saisissant Lola y trempa ses mains. Nico la relâchait rapidement, la gratifiant d’un rire carnassier, tout en remontant sa frange d’un mouvement nerveux de la tête. Son nez à quelques centimètres du sien.

    – Fils de pute… Grogna Jeff dont les poings se serraient à mort.

    En le croisant aussitôt après Nico ne remarqua rien de particulier sur son visage. Non loin derrière au milieu d’une petite foule Karine blêmissait. Elle déboula sur leurs traces mais fut emporté par une cavalcade au milieu de laquelle sa haine devint insignifiante. Lola n’avait plus bougé, et se contentait de lécher ses doigts encore trempés de la sueur aigre et sucrée à la fois du chanteur.

     

     

     

     


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