• Je Vous Donne Mon Coeur (54)

     

     

    Les deux loges étaient noires de monde. Un tas d'admirateurs tournaient autour des musiciens. Pas mal de filles aussi. Le confort était sommaire, et après s’être épongé chacun s’empressait de changer d’accoutrement. Sauf Alex qui conservait sa tenue. Mais lui transpirait très peu. Un détail pourtant frappait les plus observateurs. Il portait des vêtements classiques et de bon goût. Laissant de côté les satins et exagérations qui en réalité chez lui reflétaient un manque d’imagination et d’intérêt. Cette nuit il avait opté pour un jean droit et une chemise tombante toute simple qui le faisaient ressembler à un cow boy de sortie en ville.

    – Et si on se tapait une petite virée.. Clama Nico, au centre de l’attroupement.

    Il affectait un détachement qui était un mensonge. En secret il crânait et jubilait. Quoique par coquetterie il s’attachait à paraître sourd aux flatteries. Un calcul efficace qui ne les attirait que mieux. La plupart de ceux qui s’attardaient et papillonnaient autour d’eux rendaient les mêmes honneurs la veille au groupe qui allait les remplacer sur scène. Leur enthousiasme sonnait comme un ralliement. Non seulement il jubilait comme un jeune chien fou mais il comptait aussi profiter de tous les avantages qu’offrait la situation.

    Ses yeux venaient de viser droit dans ceux de Lola, qui elle ne tenait plus en place. Fébrile. Les vibrations et l’énergie dégagée par le groupe la mettaient véritablement en chaleur. Matt se rapprochant de son frère réussit à lui parler à l’oreille.

    – Celle-là on la rate pas.. Elle est cuite;. Je peux m’en occuper si tu veux;.

    Il cligna du côté de Lola, et pour lui tout était réglé d’avance. Les frangins s'étaient toujours passés les filles comme des butins de guerre. Son frère lui retourna une expression inconnue qui le glaça, et il préféra se détourner. Cette histoire signait la fin d’une forme d’innocence qui le vieillissait de dix ans d’un coup. Nico se glissa jusqu’à Lola. Si près qu’il pouvait sentir ses reins palpiter. La présence de Jeff dans son dos aurait du l’inviter à un minimum de prudence. Mais Nico ignorait à peu près tout de cette notion. Et il manquait encore d’expérience pour évaluer un vrai danger.

    – Tu nous suis ?.. Il gloussa à son oreille sûr de son effet.

    – Et bien.. Si on peut s’amuser.. On va quand même pas cracher dessus.. Non ?..

    Elle avait fait mine en lui répondant de se retourner vers Jeff. Mais sa moue effrontée ne laissait place à aucun doute. Celui-ci comprit qu’il ne la tiendrait plus tant qu’elle planerait ainsi à mille mètres. Ces musiciens se révélaient bien plus malins qu’il avait imaginé. En fait il manquait de sensibilité pour admettre que la force brute ne peut pas tout régler sur terre. Lola voyageait sur un tapis magique au milieu de ces crève la faim. Une pareille incohérence lui semblait tellement absurde qu’il ne l’avait pas envisagé en venant se fourrer dans le piège. A sa décharge il fallait reconnaître que Lola aussi ignorait cette facette de son âme. Son regard scintillant ne signifiait rien de précis, sauf pour Alex qui à l’écart se laissait porter par les petits jeux des uns et des autres. Il était le seul à pouvoir réunir suffisamment de cartes entre ses doigts pour interpréter la partie. On ne s’agglutinait pas autour de lui; alors que les affiches rameutaient le public avec la présence de l’ancien guitariste de Freddy. Il vit Karine s’approcher de Nico. Il l’observa quand elle s’emparait de son bras. Il eut mal en le voyant se défaire de sa main comme s’il repoussait un petit animal encombrant.

    – Son affaire était de se marrer sur tes vieux os fatigués.. Une sorte de bonne blague et rien de plus.. On était un couple réglo qui demandait rien à personne, et il a foutu ça en l’air parce que ça l’amusait.. Et maintenant..

    Alex préféra clore ce chapitre. Il voyait aussi Lola qui éclipsait toute forme de concurrence. Elle apportait en lui malaise et idées tordues. L’obligeant à se mesurer en tant qu’homme alors qu’il avait toujours choisi l'esquive devant plus déterminé que lui. Comme l'envie de remettre un jour en question la hiérarchie sur scène ne l’avait jamais effleuré. Lola lui remuait les entrailles. Les yeux mi clos il humait l’air enfumé quand il reçut une belle tape dans le dos.

    – Il faut qu’on se parle toi et moi;. Tu nous a fais une belle frayeur.. Mon Petit.. En disparaissant.. Recommence plus jamais ça…

    La claque de Monsieur Boyarkan avait beau être flatteuse; Elle tombait mal. Autant que le Mon Petit.. Mais il ne pût faire autrement que répondre sur un ton empressé. Celui de l’artiste au ventre vide face au tout puissant producteur. Un réflexe naturel appris de longue date.

    – Ah.. Mais ..euh.. je ne savais pas que vous étiez ici;. J’aurais tenu à vous saluer.. Monsieur Boyarkan..

    – Pa.. Pa.. Pa.. ne t’en fais pas;. Je suis arrivé qu’hier soir sur la tournée.. (il s’éleva jusqu’à son oreille en se mettant sur la pointe des pieds);.. Il faut vraiment que je te parle;. ..Tu Dois Souder cet Orchestre.. Tout Repose sur Toi;.

    Il lui fit sur un ton de confidence en plein tumulte. Alex put constater que la phrase avait été entendu par au moins la moitié de la loge. Le minuscule producteur dont la taille se terminait à hauteur de son épaule se saisit de son avant bras et levant l’autre main réclama le silence dans la pièce.

    – Mes amis.. Mes amis.. Ecoutez moi.. Ecoutez moi, je vous en prie.. C’est magnifique ce que vous avez fait ce soir.. Je suis dans ce métier depuis plus de vingt ans;. Et je sais quand il se passe quelque chose.. Vous voyez.. C’est là.. Dans ma gorge que je le sens.. Regardez bien où je vous montre;. Juste en haut, sous le menton.. Dans le creux, entre la glotte et la mâchoire.. Et ce soir je l’ai ressenti.. Ca m’a bien pris là.. Exactement là où j'ai mon doigt.. Vous comprenez ce que je vous dis ?..

    Une ovation lui répondit. Cependant monsieur Boyarkan n’en avait pas fini.

    – Je veux vous faire plaisir mes amis.. Vous le méritez.. Donc on laisse tomber le petit repas de tous les jours qui était prévu à l’hôtel et je vous emmène en ville… et on reviendra fêter votre succès ici même à la discothèque..(il martelait ses mots..);. Dans cette salle qui vous a vu triompher.. Je veux vous régaler..(Détachant les syllabes..).. Mais surtout, vous devez me croire..

           ....Je Vous Donne Mon Cœur.. Mes Amis.. Mon Coeur;..

     

    Alex vit certains briller de plaisir, d’autre se fermer comme des huîtres, et même rugir de colère.. Cela ne tenait qu’à leur position dans le jeu.

     

     

     

     


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