• Knockin' on heaven's door.. (95)

     

    Les billets étaient planqués dans un sac poubelle noir à l’abri d’une chasse d’eau murale. C’était tout un bricolage dans les toilettes d’appoint situées en bout après les chambres. Un coffrage de contreplaqué y faisait office de gaine d’aération. Sans doute pour répondre à des règles quelconques d’hygiène ou de sécurité. Le chauffeur en attendant avait fait preuve d’un bel esprit d’à propos. Il lui aurait suffit de revenir récupérer son butin à n’importe quel moment, en toute quiétude une fois l’orage passé. Comme quoi tout le monde peut se révéler corruptible, ce n’est qu’une question de montant et d’opportunité. Il alla de lui même soustraire le sac noir de sa planque. Tous l’observaient de leurs yeux ronds. Il ne s’était même pas donné la peine de remettre en place les vis qui fixaient la planche. Un petit coup sec sur le côté et elle pivotait gentiment. Cela ressemblait à un tour de magie. Jeff récupéra le sac que le vieux lui tendait en chancelant. La lumière crue du ciel pénétrait à l’horizontale au travers d’une grande vitre censé éclairer l’étage tout entier, et la peau du chauffeur sous la lumière d’un soleil de fin de journée était olivâtre et grasse. Comme celle des mourants.

     

    Jeff ouvrit le sac et sa peau à lui se colora légèrement.

     

    -     On reste sage.. Il s’écria.

     

    Alors que personne ne pensait lui disputer le magot. Tous le contemplaient comme électrisés. Se demandant peut-être s’il était décent de se réjouir du retour des billets. Ils lui en auraient bien farci le bide s’ils avaient pu. Mais c’était lui qui avait les armes en mains. Puis de toute façon, il était mille fois plus cinglé qu’eux, et cette évidence les écrasait. Ils avaient enfin compris qu’à moins de le buter, il leur faudrait négocier une sortie même pas honorable, qui leur accorderait tout juste une chance de conserver la vie. Il était fou pour de bon, alors qu’eux s’étaient contentés de jouer les méchants, et c’était toute la différence.

     

    Jeff se précipita vers sa chambre qui n’avait toujours pas été libérée, et s’empara des sacs de voyage. A l’arrière du groupe Lola agitait le Canons Sciés comme s’il lui brûlait les doigts. On pouvait se demander si une balle n’allait pas partir inopinément, et à la voir se démener il aurait été difficile de prédire ses intentions. Mais le remue ménage commençait aussi à attirer du monde dans les étages. Des clients venaient de surgir en haut de l’escalier, le nez frétillant et avides de bagarres sanglantes.

     

    -     Chacun chez soi.. y a rien à voir… cassez vous vite ;.

     

    Hurla Jeff en les repoussant violemment.

     

    Provoquant une cavalcade qui se termina par le claquement des portes qui se refermaient. A présent il se déplaçait par bonds rageurs et survoltés, crevé et pressé d’en finir. Les billets lui donnaient des ailes, le bourraient d’énergie. Bousculant tout sur son passage. Battant l’air des bras et prenant le risque de provoquer un coup de folie dans les cerveaux malmenés. Mais la peur avait bouclé les esprits. Les regards se cherchaient et se fuyaient aussitôt. Chacun reconnaissait sa trouille et sa propre lâcheté chez les autres. Et c’était comme une ballade aux enfers. La descente prit aussitôt des allures de débandade. L’angoisse accélérait les mouvements, rendait maladroit et pitoyable.

     

    -     Tu fais plus le malin ;.. Pensait Alex à son propre sujet, et il en menait pas large.

     

    Le groupe déboula au bas de l’escalier d’où montait une voix fêlée et rêche.

     

    -        ..It’s gettin’ dark,  too dark for me to see..

     

                    ..... I feel like I’m knockin’  on heaven’s door..

     

    -     Tu vas fermer ta gueule toi ,.. Grogna jeff à Nico qui chantait sur la vieille radio allumée et qui se considérait comme le premier admirateur au monde du grand Bob.

     

    -    .. J’t’enmmerde….   ..   Knock, knock, knockin’on

     

    -                                   heavens’doooor’….

     

      Continua Nico.

     

    Alex se retourna et aperçut lola qui descendait comme sur des échasses. Ses jambes lui semblèrent encore plus longues, démesurées et vibrantes. Il sentit que Jeff s'était aussi retourné pour l'observer, et même cherchait son regard. Mais sans le rencontrer. Lola hésitait et fixait le vide. Les tons ternes et usés du hall brunissaient les visages.

     

    -        ..That long black cloud is comin’ down...

     

    -                       ... I feel like I’m knockin’ on heaven’s door..

     

    Jeff lui balança un coup de pompe au passage. Nico s’étouffa et grogna. Avant de reprendre.

     

    -          … Knock, knock, knockin’on heavens’doooor’....


    Il crachait et pleurait de douleur.

     

    -     On se casse Lola... fit Jeff en soufflant bruyamment.

     

    Il se tourna pour repousser brutalement Walli vers un mur. Puis entreprit de libérer l’accès du couloir menant à la chaufferie. Tous ses sacs l’encombraient et il devait encore batailler avec les portes battantes.

     

    -     On se barre Lola.. suis moi ;. Qu’est-ce tu fais ?.. Viens m’aider…

     

    -     SANS MOI… Elle hurla dans son dos en même temps qu’un clic métallique résonnait tristement. Suivi immédiatement d’un autre tout aussi ridicule.

     

    -     Nooonn…. Elle fit d’une petite voix éteinte.

     

    Jeff l’avait écouté sans réagir et le dos tourné. Chaque déclic l’avait touché en plein cœur, seulement ils ne signaient pas la fin de l’histoire.

     

    Il se décida enfin à la retrouver de face. Fixant une seconde le Canons Sciés toujours braqué sur lui. Ses yeux exprimaient autant la peine que le dédain.

     

    -    Je l’avais déchargé.. Tu penses bien que j’y avais pensé… Il lui dit affectueusement.

     

    On pouvait croire que ses paupières allaient se fermer, et que sa seule envie était de ruminer une peine réelle et infinie.

     

    Le silence lui répondit. Nico lui même n’avait plus envie de chanter, et le grand Bob en sourdine terminait seul sa chanson.


    -     Pourquoi tu m’rends la vie si compliquée ?.. Je voulais que tu te rachètes.. Qu’est-ce t’en dis Lola ?..

     

    Lola se tapait le front. Se demandant ce qui avait cloché. Jeff la visait maintenant, pointant le pistolet mitrailleur. Il avait laissé tomber les sacs et se concentrait sur ce dernier point. Calant devant une des équations les plus cruciales de son existence. Cette femme était la première qui lui avait donné envie de parier sur l’avenir au moins autant que les chevaux. Il cherchait donc désespérément un moyen de l’effacer de sa mémoire en l’espace de quelques secondes. En refermant la porte de la chaufferie il voulait être certain de n’avoir plus rien à regretter, ce passé devait être mort et enterré, et il disposait au maximum de dix secondes pour dénicher une solution. Alors il avala péniblement sa salive et lui sourit.

     

    -     Je suis désolé ma belle.. on aurait pu faire un joli bout de route ensemble…

     

    On vit Nico se redresser péniblement près d’elle. Son genou de travers ne saignait plus. Mais sa jambe recroquevillée semblait déjà morte. Il avait les yeux grand ouverts et on le vit s’envoler littéralement au dessus du sol, propulsé par sa seule jambe valide. Au bout de son bras la tige d’acier qui lui servait de canne fonçait comme une flèche. Il poussa un cri phénoménal.

     

    -        Arrrgghh….

     

    Jeff lâcha une rafale qui le brisait en plein vol. A ses côtés Lola effectuait des soubresauts, reculant d’un mètre sous la pression des plombs. Laissant échapper des flots de sang. Ils s’effondraient ensemble, dans une sorte d’union, au milieu d’une mare rouge qui coulait de partout.

     

     

     

     

     

     


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