• La Légende de Jimi Hendrix (100)

    Il faisait plus chaud que les jours précédents. Avec le vent enfin tombé et le ciel adoptant des couleurs franches et claires de printemps. Alex contourna l’emplacement calciné du bus marqué par des piquets blancs. Préférant détourner son regard, il coupait le parking en diagonale. Pressant le pas vers un terminus du tram qu’il apercevait au loin. Il avait les traits creusés par quatre jours de garde à vue. A ses bras pendaient un long sac de voyage et l’étui de la Fender. C’était un des flics chargés de l’enquête qui le matin même était allé la récupérer. Lui aussi était fan de Freddy Hurricane, et il lui quémanda gentiment un autographe en retour. Alex se demanda pourquoi la vie se montrait si ironique à son égard.

     

     

    Les juges avaient pas mal hésité. Mais ils s’étaient avérés incapables de préciser quelque chose de sérieux le concernant. Alex leur avait inlassablement débité le même texte. Il était tombé du bus et tout était parti de là. Le reste découlait d'un engrenage contre lequel il n'avait rien pu faire. Il n'était pas de taille. Alors ils avaient fini par le relâcher. On exigeait simplement de lui qu’il se tienne à disposition de la justice en lui interdisant de rencontrer les autres survivants. Pour Karine l’affaire était plus compliquée. A condition aussi qu’elle retrouve un jour ses esprits. Ce qui était loin d’être évident. De son côté Léonardo se débattait avec sa hiérarchie. Il avait tenu parole pour Alex, le dédouanant autant qu’il avait pu. Lui offrant ainsi sa liberté. Chacun semblait payer ses fautes à leurs justes valeurs.

     

    Le tôlier de l’hôtel n’avait pas fait d’histoires quand il lui avait demandé la permission de se rendre à l’étage. Après avoir expliqué qu’il lui fallait récupérer ses effets personnels. Mais de toute façon il n’avait pas encore touché aux chambres selon les instructions des enquêteurs. Puis la seule vue d’Alex le faisait trembler de tous ses membres. Comme s’il voyait un revenant. Il ne tint d’ailleurs pas à l’accompagner. Une planche colmatait toujours la porte d’entrée, et au sol on devinait des tâches sombres. Avec les traces de balles marquant la cage d’escalier, il y avait pour lui de quoi connaître quelques beaux cauchemars dans son sommeil.

     

    -             Au fait.. si ça vous dérange pas ;. Je voudrais prendre une petite douche..

     

    Il lui avait fait en bas de l’escalier…

     

    Le type s’était contenté de lever les bras en remuant la tête. Il était sans voix.

     

    Officiellement les billets avaient disparus dans l’incendie. Personne ne pouvant se souvenir de les avoir vu réapparaître après l’assaut des flics. Et comme rien ne ressemble plus à de la cendre qu’une autre poignée de cendres…

     

    Alex monta dans le tram en direction de la gare, où il prit un aller simple pour le premier train se dirigeant à plus de cinq cents kilomètres. Il ne connaissait pas son lieu de destination. Sachant juste qu’il s’agissait d’une petite ville avant la frontière. C’était sans importance. Il se sentait prêt à vivre n’importe où à condition de s’éloigner ce cet endroit. Espérant y trouver des rues calmes le jour et des bars ouverts tard la nuit. Des comptoirs avec des types comme lui toujours prêts à sortir leur instrument sur des scènes de dix mètres carrées. Attendant juste qu’on leur offre quelques verres et que les filles se montrent souriantes à la fin des chansons. Celles là il pourrait toujours les épater en leur racontant la légende de sa Stratocaster.

     

    Son wagon était quasiment désert et il poussa un ouf de soulagement. Se disant qu’à ce stade un peu de solitude lui irait très bien. Le convoi s’ébranla et il restait un long moment prostré, à voir défiler le paysage. Ils traversaient une belle campagne verte aux prés remplis de grosses vaches qui broutaient paisiblement. L’herbe des prés lui sembla fraîche et grasse, savoureuse. Puis l’idée lui vint de sortir sa guitare, se disant que le son sec et râpeux d’une Fender débranchée ne pourrait faire de mal à personne.

     

    Cette guitare était une légende, et il l’observa en se souvenant de la première fois qu’elle avait atterri dans ses mains. Elle avait appartenu jusque là à différents musiciens qui se l’étaient payée en période de veine, et l’avaient invariablement revendu un soir de galère. Tous l’avaient acheté et revendu trop cher. C’était une Sratocaster fauve de qualité standard, mais la légende qui l’accompagnait valait bien tous les sacrifices. Elle avait appartenu à Jimi Hendrix en personne. Ils avaient Posé Leurs doigts où IL les avait posé.. La légende disait encore qu’elle aurait du être immolée à la fin d’un concert si le grand Jimi n’avait du abréger ce soir là pour cause de malaise. Alex avait parfois douté de la légende, mais jamais de sa vieille Fender de soixante cinq. Lui n’avait jamais pensé à la revendre, même plongé dans la pire des dèches. Mais comme aussi cette légende plaisait aux filles et fixait le prix de la guitare, il faisait comme tous les autres qui l’avaient possédé avant lui. Il s’y accrochait comme une teigne.

     

    -             La Légende de Jimi Hendrix.. Il rumina en souriant..

     

    -             Ca pourrait faire une bonne chanson..

     

    Il mâchonnait ses lèvres et cherchait un morceau à jouer. Quand lui vint naturellement Hey Joe.. Il le jouait en Mi et adorait cette suite d’accords simples et carrés;.

     

    Puis son visage s’assombrit. Il se mit à siffloter une autre mélodie. Sentant que ses lèvres ne demandaient qu’à s’ouvrir pour fredonner les paroles.

     

    -             Ici personne ne  m’dit plus.. Fais ceci ou cela.. ..  C’est toujours l’été…

     

    -                       Et d’là haut..   J’vois l’monde comme il est….

     

                      .. Bande d'Enculés...

     

    -                                        Alors du Levant au Couchant….. 

     

    -             j’descend le Blues du Paradis….

     

     

    -    … Pour toi Lola ;…..     pour toi Nico…..

     

    Il se tut en admirant la croupe des grosses vaches qui broutaient dans le décor d’un vert désespérant.

     

     

                                       

     

     

     

     


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