• Let It Bleed (17)

     

    Dans l’euphorie il ne se méfia pas assez de la dernière idée de sa compagne. Elle tenait tellement à le suivre qu’il finit par convaincre les autres et au bout du compte elle fut nommée assistante habilleuse. Cette fois elle était aux anges.  Sachant par expérience comment cela se passait en dehors des concerts, il aurait dû mieux réfléchir à l’histoire. Seulement Alex ne savait jamais réfléchir à deux évènements simultanés. Depuis ils étaient sur la route, une quinzaine de jours déjà, et la tournée fonctionnait plutôt bien. Du moins jusqu’à cette dernière nuit. Dans le bus qui glissait silencieusement vers la ville suivante où l’hôtel avait été réservé, il avait fini par lâcher les doigts de Karine. S’enfonçant dans une brume chaude et douillette. Ce n’est qu’une heure plus tard en se retournant sur son siège qu’il eut l’intuition de son absence. Il s'efforça d'ouvrir les yeux, qui eurent du mal à s’habituer à l’obscurité lourde et chaude du bus. D'âcres relents d'herbe l'étouffaient, tandis que la sono du bord diffusait un vieux Rolling Stones. Malgré son sommeil il reconnut d’emblée Let It Bleed, et un sentiment inconnu l’envahit. Il fouillait des yeux les ténèbres de l’allée centrale, quand il entendit des rires étouffés qui provenaient du fond. Le corps brisé de courbatures il se leva et comprit que Karine se trouvait là bas sur la banquette arrière, entourée d’ombres grises à demi courbées. Il vit l’une d’entre elles se renverser pour descendre au goulot une bouteille d’alcool, et la voix haletante de Karine lui parvint au travers de l’air poisseux et sombre. Il s’approcha pour découvrir ses jambes blanches entre lesquelles se démenait en sifflant Nico. Autour de lui les autres profitaient patiemment du spectacle en attendant leur tour. Il ne trouva que des mots creux et confus pour l’appeler.

     

    -         Mais qu’est-ce que tu fais Karine ;.. qu’est-ce qui t’arrives ?..

     

    Alex s’était bloqué entre deux sièges, et avait crié de sa voix éraillée de sommeil. Puis il se figea la bouche ouverte. Nico l’ignora superbement, trop occupé dans sa tâche. Seuls les autres le dévisagèrent en contenant leurs rires. Les soupirs de Karine se firent plus forts, plus rauques, le frappaient au cœur. Elle devina subitement sa présence et se tourna vers lui en soufflant, les yeux brillants comme des ampoules dans la nuit. Et il la vit jouir ; se raidissant sous les coups de reins de Nico, lui enfonçant ses ongles dans l’échine, sous la chemise.

     

    -         Non.. pas ça.. . Hurla-t-il en se précipitant sur les deux corps soudés à la banquette. Il se jeta sur Nico en tentant de l’arracher, mais se retrouva ceinturé, repoussé dans l’allée. Incapable de tout comprendre sur le champ. Puis Nico se dégagea en râlant, remonta son pantalon, et se glissa au milieu du groupe ;

     

    -         J’allais prendre mon pied connard.. c’était bien le moment que tu la ramènes, t’es vraiment un cave.

     

    -         Salaud..  est-ce que t’avais besoin de toucher à ma femme ;.. t’es une ordure..

     

    Ses lèvres se bordaient d’écume. Nico le regarda en face.

     

    -         Je crois que tu te fais trop vieux pour nous.. il faudrait peut-être revoir le contrat…

     

    Il lui crachait en plein visage, donnant à sa bouche une forme haineuse.

     

    Alex serra les poings, et pour la première fois de sa vie ; les muscles frémissants, il allait cogner. Si le rire de Karine n’était venu l’assommer plus sûrement qu’un nerf de bœuf.

     

    -         Et si on lui faisait faire un peu de marche… à notre ancien guitariste de Freddy.. qu’est-ce que vous en dites les gars ?..

     

    Puis elle partit dans un rire halluciné. Nico se tourna vers les autres et tout le monde sembla d‘accord. Seul le chauffeur du bus hésitait, mais il comprit rapidement que l’affaire était entendue. Alex ne se défendit plus en se retrouvant dehors au milieu de la nuit épaisse et froide. Du fond du bus le rire sans fin de Karine lui arrachait le cœur.

     

    -         Ma Fender.. ma Fender… Marmonna-t-il en remontant soudain les marches et s’accrochant à la rambarde. La panique le prenait en songeant à l’instrument qu’il n’avait jamais quitté même une heure en plus de vingt ans.

     

    -         Je veux ma Fender.. je veux ma Fender bande de pourris..

     

    Ce fut Nico qui vint lui jeter dans les bras.

     

    -         Et maintenant dégage.. on t’a assez vu..

     

    Puis il se pencha au dehors du bus qui redémarrait.

     

    Sa main tenait un chapeau droit qu'il lui envoya dessus comme un freesbe.

     

         - Comme ça t'auras pas froid.. Couillon.. Et si t’es pas au concert demain soir.. cherche un autre groupe.. ;  Il cria à l’ombre qui diminuait.

     

     

     

     

      

     

     

     


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