• Un Homme qui Tue un Chien (21)

     

     

    Le séjour n’était éclairé que par une ampoule jaune au plafond et les ombres mouvantes de la télé. Le mobilier se composait d’anciens meubles d’acajou plaqué et usé, d’une vieille télé allumée, ainsi que d’un luminaire de plastique rose dans un coin. Sur un des murs une horloge baromètre entourée de portraits de famille noircis, indiquait trois heures, le plein après-midi donc, et un groupe de chevaux en plâtre laqué trônait sur son guéridon. Les portes et les fenêtres soigneusement fermées ne laissaient passer aucune lumière. Enfoncé dans le seul fauteuil, recouvert de velours poisseux et à moitié défoncé, Alex tentait d’écouter  ce qui se disait dans son dos. A l’autre bout du mur sur sa gauche, assis sur un tabouret de cuisine en formica, un vieil homme baissait la tête vers le sol, muré dans le silence et ses yeux grands ouverts brûlaient d’une haine impressionnante. Ses bras tremblaient, seulement les deux mains jointes dans le dos étaient entravées par de la grosse ficelle et de surcroît rattachées au radiateur. Ce qui  rendait impossible tout exercice d’étirement qui aurait pu le soulager. Alex essaya en vain d’établir un contact, cherchant à croiser son regard. Après de vaines tentatives il haussa les épaules et se laissa accaparer par la télé laissée en sourdine. Un reportage sur les Papous lui parut bigrement intéressant, et harassé de fatigue, les muscles endoloris par les coups, il oublia pour quelques minutes la situation et sombra dans la torpeur.

     

             -  Montre nous un peu ce que t’as dans les poches.. qu’on soit sûr au moins que tu ramènes pas d’embrouilles..

     

    Jeff venait de le secouer par une épaule, se dressant dans le halo de lumière pâle venant du plafond. Dans sa main un automatique remplaçait le fusil à canons sciés.

     

    -         Qu’est-ce qu’il a lui ?.. Hasarda Alex d’une voix fluette et innocente.

    -         Mmmmh.. mh.. Ricana Jeff en se tournant vers le vieux.

    -         Mêle toi plutôt de ce qui te regarde.

     

    -         Mais je ne voulais pas paraître curieux.. Simplement..

     

    -         Simplement quoi ?..

     

         -    Rien.. Mais peut-être qu’il a soif.. ou que les cordes lui font mal, il a pas l’air spécialement en bonne santé.. c’est tout ce que je voulais dire..

     

    -         Comment ça.. t’es pas bien avec nous le papé… ou que tu voudrais encore nous jouer des farces.. il va très bien notre pépère.. et je ne suis même pas certain qu’il mérite d’aller aussi bien, allez à toi maintenant ;. Vide tes poches ;.

     

    Alex lentement s’exécuta, quand un son caverneux emplit la pièce, provenant du coin où le vieux était ligoté au radiateur.

     

    -         Ils ont tué mon chien… méfiez vous d’eux, ce sont des bandits, ils ne respectent rien..

     

    -         Pauvre vieux fou.. Hurla Jeff d’une voix métamorphosée.. Je te conseille de plus la ramener..

     

    Il se précipita vers le vieux, et Alex vit en un éclair son corps trapu et dense, vibrer de colère. Il continua à le fixer tandis que celui-ci agitait son arme devant sa victime, avant de l’obliger à se redresser par le canon collé au menton. Des spasmes le traversaient, qu’Alex suivait l’un après l’autre et qui l’effrayaient, pourtant ce n’était pas de la peur qu’il ressentait aussi intensément, ou alors cette dernière se mesurait à la fascination. Cette violence brute simplement le dépassait. Comme si la vie lui avait épargné jusque là ces aspects trop vils de la nature humaine. Heureusement Jeff jugea qu’il avait mieux à faire et s’en  retourna. Alex se dit que cela aurait pu être pire.

     

    Puis il vit le vieux cracher et il se raidit.

     

    -         Un homme qui tue un chien… il n’y a plus rien à ajouter sur lui.. moi je l'avais jamais frappé de ma vie

     

     Jeff refusa d’en entendre davantage. Il balança un coup de crosse sur la tête du vieux qui l’assomma à moitié, le faisant rouler contre le mur.

     

    -         Aiinnhh.. Lâcha-t-il seulement en s’affaissant sur son tabouret. Un filet de sang se mit à suinter le long du mur. Alex subissait la scène bouche ouverte et la gorge serrée. Jeff renifla très fort avant de se mettre à marcher dans la pièce.

     

    -         Voilà ce que c’est de laisser une chance aux gens, ils ne la méritent pas toujours, et après ils s’étonnent qu’on peut être en colère..

     

    -         Calme toi mon minet.. nous on sait que t’es un type bien ;. Il n’y a pas que des vieux cochons sur terre ;. C’est pas vrai le guitariste, tu nous a même pas dis comment tu t’appelles ;.

     

    Alex sentit le parfum de Lola se rapprocher. Il s’était efforcé de na plus y penser depuis qu’ils étaient rentrés dans la maison.

     

    -         Et mec.. tu lui as pas répondu ;. Et t’as toujours pas vidé tes poches.. t’es de la famille des sourds toi ma parole ;;

     

    -         Alex.. Fit-il d’un ton résigné.

     

     

         -    Alex comment ?..

     

         -   On m’appelle Alex, et rien d'autre.. tout le monde m’appelle Alex.. le reste c’est pour le ministère des impôts..

     


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