•  

    .. Une.. Deux .. Trooiiis..

     

    Nico sauta sur le devant de la scène. Une centaine de spectateurs s'y tenaient debout. Il se pencha vers eux, le corps tendu et agité d’électrochocs. D’un mouvement nerveux il invita le public à danser, roulant des yeux vers le bar et le fond de la salle où il sentait que la plupart restaient scotchés. Rien n’y fit, seul lui répondait le néant d’une salle  cafardeuse. Les chiches applaudissements n’en étaient que plus misérables. Cela faisait une demi heure que les Chiens Electriques jouaient, et le même silence insupportable revenait entre deux morceaux. Tous les efforts de Nico tombaient à l’eau et sa face teintée du bleu des projecteurs se montrait effarée. Alors il retourna vers les musiciens. Matt le fixait d’un regard niais d’animal perdu. Sa basse pendue aux hanches. Bœuf ne voyait pas plus loin que ses cylindres de batterie. Walli souriait dans le vague, et Alex ne bougeait pas dans son coin. Seule Lola s'accrochant à un pied de micro, resplendissait. Qu'elle était pratiquement muette n'y changeait rien. D’ailleurs les quelques sifflets qu'on pouvait entendre, lui étaient destinés. Elle n’avait qu’à bouger une cuisse pour ça.

     

    Nico balança le micro au sol en grimaçant de colère.

     

    - Bande de ploucs.. Il râla à haute voix.

     

    Il s’agissait d’un micro de première qualité, et à la console Kim évaluait le coût du dégât. Une étincelle éclaira le front du chanteur. Il se glissa dans l’enchevêtrement de matériel, et en profita pour s’envoyer une gorgée de bière. Il réapparut comme un Diable dans le dos de Lola. Se colla à ses reins au moment où Alex envoyait l’intro du blues. Kim n’eut que le temps de basculer les éclairages. Nico et Lola revenaient fondus dans une ombre blanche.

     

    - Tu es la seule Bébé.. Tu me crois à fond j’espère… J’pleure Bébé.. J’pleure.. ; de joie.. Pour toi..

     

    La voix de Nico ne laissait aucun doute sur l’histoire. Ses mouvements lents soulevaient Lola. Pénétraient son corps. On devinait une pulsion érotique rampant sur le plancher de la salle qui sentait la bière. Sans prévenir Alex envoyait un riff qui brisait net le rythme habituel de la chanson. Surprenant tout le monde mais déjà il s’avançait vers le bord de scène. Les spectateurs auraient pu lui lécher les semelles à cette distance. Derrière lui on échangeait des regards narquois et interrogateurs. Tous ces yeux rappelaient qu’il faisait fausse route, cette place n’était pas la sienne. Seulement Alex fixait le noir au delà de la zone blanche. La tête droite. Il ne se souciait pas de leur avis. Pour la première fois il oubliait ses mains, et le mouvement de ses doigts. Une lame de fond grondait au loin. Au travers d’un son sans la moindre cassure, un bruit sourd et régulier d’avion à réaction sortant des nuages. Ses jambes tremblaient dans la lumière. Les spectateurs s’agglutinaient, s’écrasaient sur la scène. Grondaient comme le réveil sombre d’un volcan.

     

     

     

     

    - T’as visé juste.. Il faut TOUJOURS tenir parole mon bonhomme.. Murmurait Alex une heure plus tard en redescendant les quelques marches de la scène. Trempé de sueur et les doigts gourds. Il n’était plus le type sec et impeccable des fins de concerts. Sa réputation là dessus en prenait un coup.

     

    Il manqua de s’exclamer quand un bras humide s’abattit sur ses épaules. Puis il eut un frisson en découvrant le visage marqué de Nico. Qui lui offrait en gros plan sa propre aventure. Lui aussi s’était arraché les tripes pour remonter la pente ce soir là. Ces rappels ils les avaient gagné tous ensemble en se mettant à genoux.

     

    - Y a peut-être quand même moyen de s’entendre.. Fit ce dernier avec un grand sourire racoleur.

     

    - Ce soir je te lâche plus.. On va s’en mettre jusqu’en haut du gosier ;. Qu’est-ce t’en dis ?.. Il continua.

     

    - Je crois pas.. Répondit Alex d’une voix calme.

     

    -  Ah bon ?.. Qu’est-ce qui te prends ?..

     

    - Je vais rentrer demain… Vous pouvez continuer sans moi ;.

     

    Alex se retourna tout à fait pour planter son regard dans le sien.

     

    - Quoi ?.. C’est une manœuvre d’intimidation ton truc..

     

    - Non.. Cette fois j’ai choisi tout seul de pas remonter dans le bus.. Je viens de me découvrir d’autres idées sur la vie ;. C’est fini ;.

     

    Nico l’observait incrédule. Il avait blêmi. Il ne lui fallut pourtant que quelques secondes avant de retrouver son arrogance.

     

    - C’est comme tu voudras.. J’ai jamais retenu personne..

     

    Il lui envoya sur un ton déjà anodin. Son instinct lui disait que le guitariste ne bluffait pas. Puis il s’empara de la taille de Lola. Des types sifflaient en réclamant un dernier rappel.

     

    - Oh Mon Petit.. Te sauve pas comme ça ?.. Eh.. eh..

     

    Alex bafouilla en reconnaissant Boyarkan qui surgissait de nulle part. C’était la dernière personne qu’il voulait rencontrer à cet instant.

     

    - Ah.. faut que je te félicite ;. Vraiment du bon boulot.. Je me demande ce qu’ils feraient ces jeunes sans toi ;. Je me demande.. Au Fait.. la gonzesse.. elle est canon, super idée.. Je vais la prendre en main à la fin de la tournée ;. Tu sais..

     

    - Oui.. oui.. Fit Alex.

     

    - C’est pas la voix qui compte pour réussir.. Les gens ils s’en foutent de la voix.. C’est La Présence.. Tu sais ce que c’est la présence Mon Petit ?..

     

    Alex manqua de s’étrangler. Toute la folie du monde venait d’être résumée en une phrase.

     

    - Au fait.. Monsieur Boyarkan.. J’aurais besoin d’un petit acompte ;. Si c’ét…

     

    - Ta.. ta Ta.. ta.. ; Ne m’en dis pas plus.. Un ami a pas besoin d'expliquer ses petits problèmes..

     

    Boyarkan déballa un lourd portefeuille et en tira une dizaine de billets

     

    - Merci .. merci Monsieur Boyarkan.. Fit Alex. 

     

     


    votre commentaire
  •  

    Retour à l’hôtel après la répétition.

    Kim prévint les musiciens qu’il restait une heure tout rond pour redécoller.

    L’endroit se révélait des plus miteux. Une vieille bâtisse dotée d’une façade de briques noircies. Il leur fallait gravir des marches verticales pour accéder aux étages. Le lieu sentait la ruine, avec des cloisons si légères qu’on s’entendait d’une pièce à l’autre.

     

    Du coup on ne pouvait rien ignorer des cris s’échappant une nouvelle fois de la chambre de Jeff et Lola.

     

    - Je crois que t’as encore disjoncté..

     

    - Tu m’emmerdes.. tu vas pas m’empêcher de chanter si je veux ;.

     

    - C’est pas ce qui était prévu.. On a autre chose à faire.. et tu le sais très BIEN…

     

    - Et bien t’as qu’à t’tirer si t’en as envie.. Je m’en fous, tu m’entends.. JE M’EN FOUS..

     

    - Pauvre cloche.. Ce mec te monte la tête ;. Mais en vérité il veut te monter tout court.. Tu t’es déjà écouté chanter au moins ?..

     

    - T’en crèves salaud.. T’imaginais même pas que je pouvais un jour monter sur une scène.. T’EN CREVES.. HEIN ?..

     

    La voix de Lola perçait les maigres cloisons, rageait ou se lamentait. S’étouffait comme sortant d’une chienne empoisonnée. En mettant un pied dans le couloir Alex se dit que la bombe risquait d’exploser plus tôt que prévu. Petit à petit tous sortaient des chambres pour profiter de l’engueulade. Ils étaient narquois et vicieux. Alex pensa qu’ils se seraient montrés moins téméraires s’ils voyaient la longueur de mèche déjà brûlée. Nico arrivait aussi. Il se planta au beau milieu du couloir avec un sourire diabolique. Sa joue avait fini de désenfler, et ne subsistaient que des marques sombres. Alex l’observa quelques secondes et l’évidence lui creva l’esprit. Il s’était gouré depuis le début. Sa vie encore une fois, était partie de travers parce qu’il ne comprenait rien aux hommes. Il se dit qu’il n’avait plus rien à faire avec ces deux frangins. Comme il se foutait d’emprunter la route de la gloire et toutes ces conneries. Lui ce qu’il voulait c’était jouer de la guitare et pourquoi pas se réveiller avec une chouette petite femme à ses côtés. Sa naïveté venait de sombrer dans un puit sans fond. Il serait un autre homme désormais. Pour toujours.

     

    - Ce soir tu vas jouer comme un Dieu.. Balancer tes tripes.. des solos que tu ne sortiras plus jamais.. De toute ta vie ;.. Même qu’il y en a plus d’un qui va être étonné.. Et ce sera ta façon de dire ADIEU aux Chiens Electriques… ADIOS.. Il fit même dans sa tête.

     

    Il referma soigneusement la porte de sa chambre et s’allongea sur le lit douteux. Son front paraissait plus lisse, déridé, presque apaisé. Par miracle les cris cessaient à côté. Laissant la place à quelques bourdonnements épars.

     

    La sortie de Lola ne passa pas inaperçue. Dans son dos la porte de la chambre claquait comme une balle. Ne s’arrêtant plus de grincer et résonner dans tout l’immeuble. Au milieu du brouhaha de la bande qui dévalait les étages, Bœuf se fendait d’un rire énorme. Son visage en était tordu.

     

    - Il doit être noir le rasé, où il perd le contrôle des nerfs.. il va falloir qu’on s’occupe de son cas s’il insiste.. Il fit rigolard.

     

    Nico attendait Lola à la réception. Il manqua lui aussi de se dévisser la tête. Elle déboulait l’escalier qui était aussi raide qu’une échelle avec une écharpe noire autour de la taille. Il lui fallut un certain temps pour admettre qu’il s’agissait d’une jupe. La scène était impressionnante. Ses jambes paraissaient coulées dans du plexiglas, encore plus démesurées que d’habitude. Walli sifflait d’enthousiasme. Il lui entoura la taille, sa main se baladant au niveau de la minuscule jupe noire.

    Nico se bloqua contre la rampe et obligea Walli à s’écarter.

     

    - Mais il devient cinglé lui aussi.. C’est la mode en ce moment ;. C’est pas possible.. ;

     

    Il grommela en se mettant à la traîne.

     

    Dans le bus Alex affichait une douceur incongrue au milieu de l’électricité ambiante. C’était rien d’autre qu’un concert de plus et il connaissait le rituel par cœur. Mais son état d’esprit inaccoutumé tenait à d’autres facteurs. Il s’abandonnait au rêve que le lendemain il comptait dormir très tard. Une furieuse envie de se dorer béatement au soleil le prenait. Quelques jours de calme complet, loin des Chiens Electriques. Il se disait que quelqu'un lui raconterait sûrement un jour la fin de l’histoire.

     

    - Tant pis pour le fric, si tu réfléchis bien d’ailleurs.. Tu n’y as jamais cru complètement… Dévaliser la caverne d’Ali Baba c’est pas ton créneau.. Et si Jeff se montre réglo, il devrait t’en laisser un peu pour te mettre au vert et remonter la pente.. ; Après tout il te doit d’être sorti de la souricière..

     

    - T’as pas besoin d’être millionnaire.. Ton job c’est jouer de la guitare…  Pourquoi demander plus ?..

     

    - ;. Alors laisse les s’entretuer si ça leur plait..

     

    Puis il s’assoupit paisiblement.

     


    votre commentaire
  •  

    -Bo.. boh.. Bom.. bom.. Pom..

     

    Nico tapa du pied, claqua la langue. Le son ressortait en trombe de la sono.

     

    - Voilà.. tu t’avances, et tu prends cette note là.. Comme je te montre..  Il fit à Lola.

     

    - Allez les gars.. on reprend..

     

    Alex demeura immobile. Le groupe répétait depuis une heure et il ne se sentait pas au mieux. Au signal de Nico il flagella sa vieille Fender, et une gerbe de métal glissa depuis ses doigts. Il se souvenait que peu de temps auparavant, au tout début du groupe, il faisait jeu égal avec son chanteur. C’était même lui qui le plus souvent donnait le signal.

     

    - Ce n’est pas le plus important.. Il s’efforça de penser.

     

    Il grimaça et la seconde suivante cassait deux cordes d’un coup. Son ampli lâchait un bruit de ferraille

     

    - Qu’est-ce qui t’arrive.. Lui demanda Nico.

     

    Alex avait cessé de jouer et gardait ses bras en l’air. Observant incrédule les deux cordes qui pendaient. Il vénérait son instrument et avait le sentiment de lui avoir porté un coup mortel. Le bassiste se tenait le menton. Comme lui les autres s’étaient arrêtés nets.

     

    - Sûrement que t’as besoin de te reposer.. Fit Nico, railleur.

     

    - On arrête cinq minutes ;. Le temps de se mouiller la gorge.. Lola viens voir, j’ai deux ou trois choses à te dire pour que tu sois au poil..

     

    Il descendit de la petite scène suivi de Lola qui manqua de trébucher sur ses talons hauts. La salle toute lambrissée semblait depuis toujours lavée à la bière tellement l’odeur martyrisait le nez. La patine et la crasse brillaient. Sur les hautes parois des myriades de disques et d’affiches faisaient office de breloques. Gribouillées de signatures et accrochées là avec piété. Des sortes d’ex-voto à la gloire de damnés courant d’une scène à l’autre comme si leur vie en dépendait. Alors qu’il s’agit seulement d’activer une dynamo et faire brûler des feux follets. La lumière crûe d’une batterie d’abats jours éclairait des faces terreuses. Celles d’une dizaine de types agglutinés le long du comptoir sans échanger un mot.

     

    - Je pourrais pas dire pourquoi.. mais c’est pas gagné ce soir..

     

    En observant le décor Alex marmonnait pour lui tout seul. Il ressentait un malaise. Une acidité diffuse qu’il ne pouvait expliquer. A un bout du comptoir il voyait Jeff qui descendait son énième verre. Toute l’histoire se brouillait. La mort du vieux avec sa tête à demi découpée par les chevrotines. Lola et Jeff, deux timbrés en roue libre qui voyageaient benoîtement pendant qu’une armada de flics se déchaînait à leurs fesses. Puis Nico et tous les autres dont le sort était lié à une série de circonstances qu’ils devineraient trop tard. Ce serait l’explosion de cette fameuse bombe et il était seul à entendre le grésillement de la mèche. Mais ce n’était pas la démesure de ces données qui le minait. Son problème immédiat tenait au fait qu’il aurait voulu n‘avoir qu’un seul destin en tête. Monter sur scène et flamber, jouer de la guitare et prendre un verre tranquille au bar après le spectacle. Se réveiller la journée suivante et descendre pour le repas froid arrosé de café de l’après midi. Avec une première cigarette et pourquoi pas une gentille admiratrice à ses côtés. Qu’il remercierait en jurant de lui téléphoner un jour. Oubliant jusqu’à son nom et son visage une heure plus tard. Recommencer la même chose le lendemain, sans se poser de questions.  Et ainsi de suite..

     

    Il commanda une bière pour son gosier sec. Une fois la bière en main l’idée lui vint de franchir la porte aux battants ouverts qu’il apercevait à sa gauche. Il s’avança vers elle avec une envie de cigarette, seulement au fur et à mesure qu’il s’en approchait, une vision lui venait. Il se voyait partir et diminuer dans l’espace sans jamais se retourner. Néanmoins sa course s’arrêta au bord du trottoir. Il avait juste franchi la porte.

     

    Apercevant son reflet dans une vitre, il crut y voir un étranger. Ses cheveux formaient de petites touffes sur la tête, ses épaules tombaient. Le reflet évoquait un déguisement raté. Il revint au bar pour une seconde bière.

     

    Une clarté inattendue lui permettait de réfléchir différemment des autres jours. Il se demanda si le cauchemar valait encore sa ration de sang. IL comprit que tout était bien au dessus de ses moyens. Quand une main vint se poser sur sa nuque. Il reconnut le parfum de Lola.

     

    - Rien ne prouve que cette histoire mérite sa fin.. Il pensa.

     

    Dans son dos la voix de Lola était si joyeuse qu’il fut pris d’écoeurement.

     

    - Si on pouvait prévoir le futur.. Hein mon lapin ?.. Qui aurait cru un jour.. ?

     

    Elle s’exprimait avec une familiarité et une innocence qui lui fit juger la situation doublement ridicule. Alors il l’examina d’un oeil las. Son regard descendait à hauteur de son nombril d’où ne surgissait aucune réponse. Il se vit obligé de la fournir.

     

    - Je crois que tu fais fausse route… ou pire encore.. Demain tout va partir en bouillie ;. On sait très bien où on en est Tous les Deux..

     

    Elle en était stupéfaite, et en réalité incapable de saisir la réalité brutale de sa parabole. Mais ce qui en retour l’attrista était la sincérité qu’il mesura dans ses yeux. Elle ne devinait pas plus le mal que l’issue obligatoire de l'aventure. Son aveuglement lui parut la chose la plus obscène jamais rencontrée.

     

    - Peut-être que je devrais parler en martien ;. Ça serait plus clair.. tu crois pas ?.. Il lui fit.

     

    Elle ne trouva que des yeux ronds à lui proposer, sans aucune espèce de sensualité. Il se dit que l’envers du décor n’est jamais très beau à contempler. Elle abrégea heureusement.

     

    - Bon.. c’est pas tout non plus.. faut que j’aille me préparer, si je veux être prête pour ce soir..

     

    Elle pouffa, les pupilles allumées. La gorge chargée de vitamines. Alex respira comme si un nouveau phénomène tentait de l’asphyxier.

     

     

     

     


    votre commentaire
  •  

    Le bus filait de tout son poids sur l’autoroute. La voix de Nico s’y élevait jusqu’au plafond, glissait en longues onomatopées, puis soudain il se leva et claqua des doigts en rythme. Il se mit à arpenter le couloir, Allant et venant d’un pas élastique. Comme sur le dos d’un requin. Le groupe rassemblé dans le salon central, trépignait sur des instruments acoustiques. Nico dansait et frémissait.

     

     

    Le gros problème avait failli se produire  une quinzaine de minutes plus tôt, en quittant la ville. Dans l’embranchement des voies rapides. Les flics avaient établi un barrage et contrôlaient tous les véhicules avant l'échangeur, les obligeant à slalomer entre diverses bornes posées au sol. Ils avaient de cette façon tout le loisir d’examiner les têtes qui leur passaient au ras du nez. Le chauffeur ralentit d’abord avant de s’immobiliser au signe d’un gros sanguin planté sur la route.

     

    - Il a vraiment rien d’autre à faire dans la vie.. celui-là ;.  Il lâcha en ouvrant la porte.

     

    Le flic à la peau rouge monta la rampe et vint braquer ses gros yeux sur la bande dépenaillée.

     

    - Ouahh.. Fit Nico.. je suis Jack l’éclaaairr… l’ange de l’enfeeerrrr…

     

    - Je suis né dans un nuage de souffre… et ma missiooonn sur Teerree est de semer le désordre entre les hooommeees.. Monsieur le policier….

     

     

    - Pas mal de carnages ont commencé d’une manière aussi stupide ;. Pensa Alex, et par réflexe il rentrait sa tête dans les épaules.

     

    Jeff était plus raide qu’une statue. Nico qui voyait là un moyen de s’amuser s’approcha du policier en chantant. Le reste du groupe balançait des épaules et tapait sur le dos des sièges.

     

    - Les filles de flics sont les plus beeellleees… J’en connais une qui m’aiiiime..  faudra que j’fasse gaffe à son pèèèrrre….  ..  Tout d’mêm..

     

    Tous les ingrédients semblaient réunis pour une catastrophe. Mais le flic qui n’avait toujours pas prononcé un mot haussa les épaules et fit demi tour.

     

    Il sembla estimer que les tueurs en cavale ne devaient pas être du genre à faire de la musique. En sortant il offrit au chauffeur un rictus de dégoût. Comme s’il le plaignait pour son travail. Alex tint à mesurer les conséquences de l’épisode sur la tête de Jeff. Il le retrouva pétrifié au fond du bus. Ce qu’il interpréta comme un signe dangereux. Ce type était au bord de l’explosion.

     

    Nico s’était bien chauffé et ne relâcha plus le tempo à partir de là.

     

    -Ma p’tite chatte m’en fait baver.. j’sens que j’vais la gâter, où m’noyer dans le whyskie… partir en ski.. ;   Si j’me fais j’ter..  Yeeehh..

     

    Il frappait les rangées de fauteuils sur son passage, se tordant les hanches, les musiciens suivaient avec le refrain. Par moments il semblait changer d'univers. Hors de contrôle et à s’y méprendre, la musique le possédait. Mais peu à peu il se rapprochait du fond du bus, où Lola trépignait et le dévorait des yeux. Il avait tout calculé et entre deux hoquets rythmiques, plongeait dans son regard. Quand elle fut à sa portée il prit sa main et elle se leva automatiquement. Jeff ne mouftait pas. Nico attaqua un nouveau couplet.

     

    - Ma p’tit chatte m’en fait baver… en v’là une encore qui rêve de m’mâter..

     

    Lola dansait dans le couloir, frottant ses cheveux clairs dans une pose emblématique. Se tournant vers le plafond, et ses nerfs prenaient feu. Nico ne la lâchait plus du regard pendant que le reste du bus s’écorchait avec les choeurs. Il décida de remporter la mise et fit mine de se baisser. En se redressant il retenait la note pointant l'index vers son front, frappant la mesure. Jusqu’à ce qu’elle comprenne. Elle ouvrit à demi les lèvres et son timbre tiède vint glisser sur les accords de guitare.

     

    Alors Nico frôlant sa joue du bout des doigts lui sourit franchement, avant de rétablir la mélodie qui ne prenait pas la bonne direction.

     

    - Il y a un temps pour tout… Pour la guerre et pour l’amour.. Et je crie pouce..  J’ai trop envie de toi…

    -Ma p’tite chatte me fait cramer..

     

    On n’entendait pas vraiment Lola que Nico couvrait presque entièrement. A peine un filet de voix qui coulait entre les notes. Mais elle n’en paraissait pas moins avoir quitté le plancher. Sa peau vibrait au point qu’on aurait pu la croire traversée d’une mauvaise fièvre. Elle pouvait aussi fermer les yeux et sentir le souffle du chanteur sur ses joues.  Quoique occupé à suivre ses mains sur la guitare, Alex ne perdait rien de ce qui se passait.

     

    - Tu vois que je mens jamais.. Elle brûle de devenir chanteuse ;. C’est même le seul rêve qui la travaille depuis toujours ;. Pour ça elle est prête à tout lâcher et tout renier.. Pensait-il, son esprit rivé sur celui de Nico.

     

    Arrivant au bout de la chanson Nico se collait contre Lola. Elle souriait aux anges, les yeux embués.

     

    - La partie est gagnée.. c’est maintenant que ça devient bon..

    Concluait Alex.

     

    Jeff à l’arrière ne s’intéressait qu’au paysage. Triste et monotone. Mais son calvaire était loin d’être fini. Nico leva la main en faisant signe à tous de se taire.

     

    Il se recula et fixant Lola se mit à applaudir. Imité par Matt, Bœuf, et les autres qui commençaient à entrevoir quelque chose de spécial.

     

    - Messieurs les Chiens Electriques… Fit Nico très solennel. Je crois que nous avons trouvé notre choriste.. et dès ce soir.. on l’engage.. Je crois même que ça va chauffer dur ;. Qu’est-ce que vous en dites ?..

     

    Lola rayonnait et minaudait. Nico s’inquiéta du silence qui s’installait. Il visa tout le groupe, passant de l’un à l’autre en quelques secondes. Le premier à réagir fut Matt.

     

    -Ouaih.. Génial.. Bravo Lola… Cria-t-il en claquant des mains.

     

    Tous le suivirent, et Kim siffla comme un dératé. Il suffisait pourtant d’examiner les sourires échangés de biais pour deviner leurs pensées réelles. Délaissé au fond du bus, Jeff se contentait toujours du paysage en guise de distraction.

     

    - Pauvre merde ;. Il ne put s’empêcher de sortir d’une voix étouffée.

     

    Plus loin au centre du salon, Nico débouchait une bouteille, et entourait les épaules de Lola qu’il fit boire au goulot.

     

    - Ce soir on va brûler la salle ;. Il s’écria.

     

    - On va laisser des cadavres partout.. Hurlait Matt.

     

    - Ouaih c’ est sûr.. Vrombissait le pianiste.

     

    Nico fit passer la bouteille. Puis très calmement se tourna vers Jeff.

     

    - Et le beau brun... Qui est tout seul là bas.. Il l’apostropha.

     

    - Tu vas trinquer avec nous.. j’espère..

     

    Jeff soutint son regard.

     

    - Jamais quand j’ai envie de pisser.. Il répondit à la fin.

     

    L’allusion était claire. Nico cependant n’y trouva que matière à ricaner.

     

    Alex aussi aurait voulu se marrer sauf qu'il bataillait avec des images. Les jambes nues et gonflées de Lola qui se refermaient comme un noeud coulant. Il se vit devenir méchant.

     

    Découvrant qu’il aurait pu écrire cette partie du scénario ;. L’ennui était qu’il calait sur la suite.. Tout devenait opaque au delà du crépuscule.

     

     

     


    votre commentaire
  •  

    Tandis qu’une flopée de voitures garnissait les alentours de la ferme. L'air vif du printemps n’en finissait plus de verdir le paysage. Des lieux sereins d’apparence où l’on imaginait bien le vieux et son chien vaquer à leurs occupations. A quelques distances sur un bout de champ bien plat, l’hélicoptère de la police laissait reposer ses lourdes pâles. Mais c’était à l’intérieur et aux abords immédiats de la maison que se situait le principal intérêt de toute cette mobilisation.

     

    Un homme habillé d’un costume gris et au nez chaussé de petites lunettes rondes surveillait une équipe de spécialistes. Des hommes sanglés de harnais qui s’apprêtaient à redescendre dans le puit situé au fond de la cour. L’homme en question était le premier procureur de la région.

     

    D’autres enquêteurs s’affairaient dans tous les coins. On reconnaissait les gars du labo à leurs tenues de cosmonautes.Des combis blanches qui font fureur dans les séries policières. Ils avaient déjà consigné pas mal d’objets intéressants.

     

    Les chiens n’avaient pas été longs à suivre la trace du vieux, ou plutôt celle de son cadavre. D’autant que la présence dans le puit d’un de leurs congénères avait excité leur odorat. Maintenant il s’agissait de faire vite pour exploiter les premiers résultats.

     

    L’officier Léonardo infiltra subrepticement sa lourde carcasse dans l’agitation. Il venait juste d’apprendre la relève de son unité, remplacée par une équipe de la criminelle. Il lui avait fallu une volonté de fer pour conserver son sang froid. Mais sous le calme rampait une colère dévorante. En attendant, il profitait du flou des instructions pour s’incruster dans la place, reniflant l’air ambiant.

     

    Il traînait alors dans le séjour, et s’apprêtait à mener une reconnaissance vers les chambres quand son regard accrocha un bout de carton bariolé tombé derrière le fauteuil. Il s’en saisit et le retourna délicatement entre le pouce et l’index. La pochette de disque le troubla. D’abord il s’agissait de Freddy Hurricane, et la seule vue du nom provoquait toujours chez lui une émotion, ensuite, un fil solide s’obstinait à tisser une énigme à partir de divers éléments hétéroclites. Tout semblait réuni pour l’impliquer personnellement dans cette chasse à l’homme. Y compris les coups bas de sa hiérarchie qui en croyant le sortir du jeu ne faisait que l’exciter davantage. Comme si ses supérieurs avaient trouvé le truc parfait pour le pousser au vice. Un ressort s’immobilisa en lui. Il venait de repérer l’électrophone à l’autre bout de la pièce, mais il aurait pu jurer que le disque se trouvait déjà sur la platine. Dans ses veines le sang gélifiait. Ce qui était conforme à sa nature. Pour d’autres un moment semblable aurait signifié un intense bouillonnement. Le fameux Instinct.. de l’officier Léonardo se singularisait par un gel du système sanguin.

     

    Il éprouva le besoin de conserver la pochette en main. Pariant que pas mal d’évènements s’étaient déroulés à l’endroit même où il se tenait ; Et il aurait bien voulu que la galette de vinyle vienne lui en raconter quelques uns. Même le coin vitrifié et sa télé en mille morceaux ne lui en apprenaient pas tant. Pour le phono recouvert de poussière, il était certain qu’il venait de fonctionner pour la première fois depuis des lustres. Avec un seul disque en vedette, celui de ce bon vieux Freddy. L’idole de toute sa jeunesse. Le ramenant sur une piste qu’il avait par intuition gardé au chaud dans sa mémoire, et c’est cette fiche qu’il ressortait de son ordinateur personnel.-

     

    - Vous venez de découvrir quelque chose ?..

     

    La question lui arrivant dans le dos manqua de le désarçonner, ainsi cueilli à froid dans ses réflexions. Il se retourna lentement pour découvrir un inspecteur qui l’observait. Léonardo reconnut un de ces jeunes policiers modernes toujours un peu plus malins que les autres. Du genre Profileur.. ou encore cinglé d’informatique. Il se contenta de soupirer d’une façon parfaitement anodine.

     

    - Non, rien de spécial..; Mais je trouve dommage que l’on assassine un homme qui écoute Freddy Hurricane dans ses vieux jours... Fit-il en époussetant le disque qu’il remit délicatement dans sa pochette.

     

    Après quoi il se résolut à quitter la maison comme si tout ce labeur de fourmi avait fini par l'ennuyer. Il n’alla pas très loin. Tombant en arrêt dans le vestibule sur un petit chapeau droit à la gangster. Il le décrocha du porte manteau avant de le poser doucement sur sa tête. S’observant un court instant dans le vieux miroir noirci de l’entrée.

     

    - Tout compte fait.. le chapeau ne fait pas le guitariste.. Il fit à voix basse avec un sourire de cinéma.

     

    L’inspecteur du service scientifique qui le suivait des yeux secoua la tête d’un air peiné et reprit son travail.

     

    Dehors, le ciel était clair, la campagne calme et sereine. Un des chiens de la brigade de recherche le rattrapa pendant qu’il rejoignait le gros break aux couleurs de la police. Il le renifla aux genoux, comme s’il reconnaissait un vieil ami.

     

    - T’es un bon chien.. Fit Léonardo en caressant son museau.

     

     

     

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique