• Il lui semblait que flic ou truand, on le devenait alors avec une sorte de volonté propre, comme on choisirait normalement son métier. Le monde avait besoin tout autant des uns et des autres. Mais on pouvait aussi finir pharmacien ou plombier, la morale n ‘avait rien à y voir. Il se souvenait seulement que tout ça c’était bien avant qu’il se mette à chasser des types partant bille en tête vivre leur vie comme un film d’horreur. Des malades qui se trafiquent leur cinéma en ne sachant plus très bien où commence et finit la réalité.

     

    Et en ce temps là, quand un flic avec sa stature criait.. On Ne Bouge Plus.. les Mains en l’Air !.. , en principe on s’immobilisait sur place sans rechigner. D'autant que la nature lui avait accordé une vraie voix de flic. Un organe sans ambiguïté, rauque et puissant. Rassurant pour tout le monde au fond, y compris pour les voyous qui savaient à quoi s'en tenir. L'époque était plus logique et les affranchis tenaient toujours en réserve un alibi plus ou moins sérieux. Une sorte de joker que l’on brandissait délicatement du bout des doigts en échangeant un demi-sourire, et dans certains cas comme un soupçon de sympathie, un début de complicité. Les deux camps n’étaient pas dupes, et savaient que leurs affaires reposaient entièrement sur l’adversaire. Des rues sans truands mettaient les uns au chômage définitif, et sans flics pour redresser les mauvais garçons, le pays dans son ensemble se serait montré invivable pour tout le monde. Or, les truands aussi ont besoin de se reposer, ils fatiguent comme n'importe qui, et des villes soumises à la loi du plus fort vingt quatre heures sur vingt quatre, ne sont plus sûres pour personne.. Puis les voyous eux mêmes finissent par prendre leur retraite avec l’âge, et à partir de là ils sont souvent les premiers à exiger un peu de tranquillité. Ainsi la paix armée est assurée à la grande satisfaction du public, mais à l’unique condition que les règles soient bien comprises par tous. L’équilibre social se révélant trop fragile pour fonctionner au bénéfice d’un seul camp. Voilà pourquoi il avait le sentiment que les parties d’entant se jouaient entre gens bien élevés.

     

    L’officier Léonardo venait de s’échauffer dans cet éclair de nostalgie. Il maudissait cette damnée partie de campagne, et la maudite cible attifée comme un clown qui continuait d’avancer. Dans ses entrailles une pelletée de galets définitivement indigestes pour son estomac de flic, avait remplacé son déjeuner du matin. La puissance de feu de l’escouade qui aurait pu ouvrir une galerie de chemin de fer au travers de la cible finit par l’écœurer. A quoi bon faire le malin en public avec un petit canon à bout de bras si pour s’en servir il faut en passer par une multitude de simagrées. Soudain dans le ventre les petits galets se mirent à rougir au contact de son sang retourné. Ses pupilles qui lui accordaient une vision de dix sur dix depuis son enfance, ne lui restituaient plus qu’une image informe et brouillée. La veste de satin noir qui à huit mètres devant luisait sous la lumière de ce matin d’avril, ne se contentait pas de le fuir avec l’énergie d’un cochon sauvage. Elle le ridiculisait.

     

    -         Ce putain de cochon.. On me la fait pas à moi..

    -          

    Il manqua de s’étrangler. Puis il se retrouva enveloppé d’un brouillard au milieu d’une lande pâle et qui appelle au meurtre. En lui régnait la confusion, comme une chasse au fantôme, d’un vide aussi étrange que celui qui régnait dans le cerveau d’Alex. Sans doute que le coup de folie extraordinairement silencieux chez l’un, appelait une furie parallèle dans l’esprit de l’autre. Et en une fraction de seconde il se crispa dangereusement, ce que sentit d’instinct son coéquipier positionné à sa gauche.

    -         Fais pas le con !..

    Marmonna ce dernier en détournant ses yeux dans lesquels se lisait l’effroi. L’index de l’officier pressait déjà la détente de son arme, et un long grognement quitta sa bouche.

     

    Le cri les avait tous sauvé. Ce fut l’ultime soupape sans laquelle le guitariste était percé de part en part, et quand à lui, il pouvait être assuré de faire les gros titres des journaux. Il y a longtemps que les flics aussi savent comme tout est incertain dans le monde moderne. La détonation ébranlait toujours le silence végétal et roulait par vagues jusqu’aux collines pour revenir en écho à son point de départ. Quand le silence reprit chacun eut le sentiment de vivre au ralenti. Et devant eux, sur le bas côté de la route.. Alex se retournait..

     

     

     

     


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    -         Mais il se fout de nous ce con.. je rêve ou quoi chef..

    -          

    Le flic préposé au fusil à pompe tourna vers son chef des yeux démesurés. , et de toute évidence il admettait mal la réalité des faits. Dans le silence vert et plombé seul résonnait le moteur du break au ralenti. Le chauffeur à son tour quémanda le regard du patron, lui aussi ne savait plus trop quoi faire. N’obtenant rien de sa part il revint vers la cible qui imperturbablement continuait de s’éloigner. C'était un cas de figure inédit. 

    L’officier ravala sa salive. Ce qui ne l’empêcha pas de rougir devant ses hommes. Sa honte qui ne reposait sur aucune base sérieuse tenait à l’idée qu’il s’était toujours fait de son devoir. De toute évidence on avait affaire à une unité d’élite, une sous brigade spéciale triée sur le volet, ce qui rendait sa tâche encore plus compliquée. On devinait aisément que ces hommes avaient réglé leur compte à un paquet d’énergumènes dans un passé plus ou moins récent, et dans leurs tenues de combat d’un noir de tombeau il était difficile de les prendre pour des plaisantins. 

    Eut-il fallu aussi que la situation soit prévue dans le manuel.

     

    -         ON AVAANNCE!!..

     

    Grogna soudain l’officier en effectuant un large cercle rapide de tout son bras gauche. Et tout le groupe se mit en route, tentant de conserver comme il pouvait son allure impeccable de commando d’élite sur-entraîné.. Sauf que pour garder la pose et l’unité autour du break ils se virent obligés de sautiller. S’observant furtivement les uns les autres et adoptant ainsi une curieuse figure de ballet. Comme une armée complète sur les traces d’un corbeau famélique. Il ne manquait plus qu'un facteur imprévu à ce tableau... qui ne tarda pas à venir.

     

    Bifurquant à l’improviste depuis le sens inverse une fourgonnette remplie d’ouvriers agricoles frôla Alex de quelques millimètres. Manquant de l’écrabouiller pour de bon avec plus d’efficacité que les gros flingues réglementaires.
     

    Les flics n'eurent d'autre solution que de s'immobiliser à leur passage; faisant mine d’ignorer la dizaine de nez collés aux vitres, puis comme s’il ne s’était rien passé, redémarraient leur petit manège.

     

    Alex de son côté donnait l’impression de n’avoir jamais été concerné par ces évènements. Son objectif restait le même. Il se situait quelque part au bout de cette route et demeurait invisible à ses poursuivants.

     

    -         C’est pas vrai.. J’ai jamais vu ça.. Râla entre ses dents L’officier Léonardo dans sa tenue de combat noire.

     

    Il pensait à cet instant que les temps changeaient trop vite pour lui, et que les gens ne comprenaient plus toujours le travail de la police. Il voyait maintenant débouler cette nouvelle génération de détraqués qu’il ne parvenait pas à saisir. De plus en plus jeunes, fourbes et violents. Méchants comme des teignes. Cela faisait vingt ans qu’il était dans le système, et il se souvenait avec nostalgie de l’époque pas si lointaine où les truands et les flics se devinaient d’un regard, avec des règles du jeu aussi claires que l’eau de source. Dans son esprit régnait un âge d’or simple à déchiffrer. La société possède ses règles du jeu, et si un homme ou une femme quelconque voit une raison particulière de ne pas les respecter, on fait appel à des types comme lui, bien droits et francs et qui ne se cassent pas la tête pour entrer en action.

                       C’était avant les tueurs en série, avant les cinglés de la gâchette défoncés à toutes sortes de substances chimiques qui nettoient le cerveau avant d’empiler les cadavres. Avant que des types montent sur les braquages en s’arrachant les tympans avec des musiques de sauvage. Des hymnes à la mort sans le plus petit bout de mélodie, et surtout..  Avant que Tuer Devienne Une Mode..

     

     

     

     

     


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     L’officier de police bondissant du gros break bleu ne prêtait pas à rire. Le lourd véhicule s'immobilisa de ses quatre gros pneus sur la chaussée et deux autres hommes s’éjectaient à leur tour de l’engin qui ne contenait plus que le chauffeur, faisant passer l’équipe de l’extérieur à trois éléments. 

    Deux d’entre eux brandissaient à bouts de bras un automatique sombre d’un calibre de neuf millimètres, une arme réglementaire.

    - On ne bouge plus j’ai dit .. et on lâche tout.. ViiiTTE..

    La voix de l’officier à nouveau hachait l’air, grondait de sons métalliques au milieu du désert vert. Pendant qu’il se soudait au goudron de la route, jambes pliées et genoux écartés, le buste légèrement incliné vers l’avant. Ses bras aux trois quarts tendus se rejoignaient solidement sur la crosse de l’arme de service. Quand au canon de celle-ci, sans équivoque possible, il se trouvait dirigé vers le dos du marcheur, bien dans l’axe et à hauteur du cœur.

    Un second flic se planquait à l’abri d’une portière, mais ses deux mains empoignaient le même type de flingue. Exprimant sur son visage une détermination toute aussi féroce. Quand au troisième gars, il avait choisi de se coucher à moitié sur l’avant du break pointant en diagonale du capot un fusil à pompe qu’un énergique mouvement de piston venait aussitôt d’armer.
    Puis comme si un système de visée électronique guidait simultanément les trois armes, il n’y avait qu’un seul point d’impact possible, et à cette distance toute erreur de tir semblait écartée, la cible était parfaite… Sauf que cette dernière continuait obstinément à avancer.

     

    -         On bouge plus j’ai diiiT !!..

     

    Cette fois l’officier hurlait à pleine voix, sans aucune retenue, et il ne put contrôler un mouvement de dépit. Comme un léger tressaillement sur ses membres inférieurs.. .

    C’était un type assez massif, un peu plus âgé que ses hommes, dont les bras vibraient de plaisir en s’accrochant à son arme. Mais son visage conservait une dureté aussi professionnelle qu’impitoyable.

    Seulement la cible avançait toujours..;


    Alex venait de parcourir cinq ou six mètres supplémentaires et ses pas semblaient encore plus mécaniques.

     

     

     


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    Tous ses muscles se relâchaient et il continuait à marcher, insensible aux éléments, oubliant déjà son envie de café. Il se trouvait sur un faux plat et imperceptiblement la route se mit à grimper. Maintenant il avançait courbé. Petit à petit il avait lâché l’horizon pour scruter les touffes d’herbe à deux pas devant. Cela devint un travail méthodique , une observation maniaque et sans faille, et plus un secret du sol ne lui échappait. Sa respiration se fit lente et forte. Il avalait et recrachait des bouffées d’air tout en balançant régulièrement les épaules. Une demi heure plus tard il devait avoir parcouru dans les deux kilomètres avec un souffle d’une régularité exemplaire, comme réglé au métronome. Sous le chapeau droit et le casque de ses cheveux teints d’une sorte de rouge, toute pensée avait disparu. Il ne se rappelait plus de rien et il y avait fort à parier qu’examiné dans cet instant il n’aurait laissé aucun doute au psychiatre. Névrose aiguë avec phase amnésique profonde, voilà ce que l’on aurait pu lire à la fin du rapport d’expertise. Et le rapport aurait pu continuer ainsi : Personne du sexe masculin et de type occidental, son âge est d’environ quarante ans, d’une taille d’un mètre soixante quatorze pour un poids de soixante sept kilos. Yeux marrons et peau claire, les cheveux sont teints. Quelques tics nerveux agitent les muscles de sa bouche, mais il ne se ronge pas les ongles et ne semble pas sous l’influence de produits stupéfiants, même si l’examen des urines laisse apparaître un usage sporadique de drogues douces et peut-être d’amphétamines. A été récupéré errant en pleine campagne à trente kilomètres de la première ville, agrippant fermement une guitare électrique à sa main droite. Il était affublé d’une tenue de ville légère plutôt excentrique, sans doute d’ailleurs sa tenue de scène. Quand aux explications qu’il a pu nous fournir, elles se sont révélées particulièrement confuses.

     

    Le cerveau d’Alex apparaissait désormais débranché et il ne tenait le cap que grâce à un effet de pilotage automatique. Un point brillant s’était allumé juste derrière l’os du front et lui consumait le noyau du crâne, remplaçant toute pensée, comme si un souvenir précis s’y projetait en plan fixe. Ses yeux s’étaient rétrécis alors que ses pas gardaient la même régularité hallucinée. Il ne se souciait toujours pas plus des rares automobiles qui empruntaient à cette heure la nationale, se contentant d’avancer guidé par la vision en plan fixe, ce qui ne pouvait lui permettre d’entendre un nouveau ronronnement qui enflait sur ses talons.

     

       - POLICE.. !. On ne bouge plus, et les mains en l’air.. vite ;.

     

    Aboya la voix derrière son dos, d’un timbre métallique et tout en claquements.

     

     

     

     


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        -   Cette fois c’est le bouquet.. Grommela-t-il un peu plus loin.

     

    Il se mit à parler tout seul.- 
     

     

         - Si t’avais décidé de savoir jusqu’où ça pouvait aller dans ce monde de fous, alors t'es verni. Il n’y a plus de doute, on a trouvé pour toi le meilleur raccourci si on veut expliquer ta vie.. ça me paraît carrément difficile de descendre plus bas -, et tu peux remercier celui qui te regarde là haut derrière le grand plafond.. dans un ultime geste de bonté, il t’a laissé dans un coin du monde sans aucun miroir.. où t’as aucune chance d’avoir à cracher sur ton ombre, ou de crever de rire devant ta face plate, dans sa grande générosité il te laisse décider sur la question..

     

    Après quoi il leva les yeux vers le ciel

     

    Merci mon Dieu, mais vous êtes encore trop bon.., Brama-t-il d’une voix rauque avec l’impression de se réveiller en pleine mer. Un court grognement s’ensuivit, et les yeux toujours fixés sur la nappe momentanément grise du ciel, il secoua péniblement les franges rouges qui l’aveuglaient. Puis redressa le petit chapeau droit, alors que les jointures des doigts se contractaient, faisant jaillir les cartilages d’un blanc sale. Enfin il baissa la tête pendant que son regard retrouvait la monotonie de la ligne d’horizon, et son front se fit plus triste. Il venait de penser que le Seigneur aussi avait autre chose pour s’occuper qu’à le regarder peiner en chaussures de daim et veste de satin noir, arpentant la pire des campagnes à trente kilomètres de la première ville, avec pour tout bagage une Fender de soixante cinq dans son étui d'argent et qui pendait lamentablement à sa main droite.

         -  S'il pouvait au moins me payer un café... Il fit d'une voix cruelle.

     

     

     

     


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