•  

     

    Tout le groupe était de retour à la discothèque. A l’intérieur le volume sonore interdisait les discussions. Dans un angle, celui des invités, deux tables chargées de bouteilles les attendaient. Lola se laissa tomber, ses longues jambes à même le sol. Alex depuis quelques heures lui trouvait une mine idiote. Un avis que la soirée bruyante de la bande dans un restaurant chinois avait encore renforcé. Elle s’y était montré à son avantage au milieu des mâles fantasmant sur ses charmes, mais elle n’avait manifestement rien d’autre en réserve. Pour sa part il ne pouvait se détacher de ses cuisses longues et souples. La vue de ces longs pains de sucre brûlait son bas ventre. Une minute il maudissait ce dilemme et celle d’après attisait l’incendie avec les images de la leçon de danse. A son âge il ne pouvait ignorer la farce qu’est l’existence entière. Se retrouver à baver devant une poupée magnifique à la cervelle de moineau était peut-être humiliant, mais c’est le lot tiré par la plupart des hommes. Il n’y avait pas lieu de s’en plaindre.

    Sans attendre Bœuf avala d’un trait le quart d’une bouteille de vodka, puis rota la bouche grande ouverte. Lola vint atterrir à ses côtés, en se tournant il posa une lourde main sur sa cuisse. Jeff se mordit les lèvres, il ne trouvait pas la solution du théorème. Se viander sur ce tas d’abrutis comme l’y incitait un grain de folie dans son crâne, revenait à se suicider. D’autant que Lola dans son état d’esprit était difficilement maîtrisable. Nico se passait aisément de questions aussi cuisantes. Il lui suffit d’envoyer une méchante pichenette sur le nez de Bœuf pour qu’il se hâte de retirer ses doigts. Le gros marmonna quelques secondes, et se consolait avec une double ration d’alcool. Mais les yeux injectés de sang, Jeff vit la main de Nico remplacer celle du batteur. Lola se mit à rire à gorge déployée, et manqua de s’étouffer avec son verre. Jeff jura et regretta d’avoir trop cédé sur la coke en imaginant qu'elle allait comme d'habitude se montrer reconnaissante. Même une astuce qu’il croyait imparable était en train de dérailler. Il lui fallait tenir moins de vingt quatre heures et tout rentrerait dans l’ordre. Il prenait conscience de jouer sa vie à pile ou face. Simplement la présence de Lola compliquait la situation. Faute de quoi il leur serait rentré dans le lard et tout aurait été réglé en un peu moins d'une minute. Impuissant il se contenta de les vouer aux enfers.

    L’établissement était plein à craquer. Fréquenté par une faune qui ne tarda pas à mettre le feu en l’honneur des Chiens Electriques. Lola brûlait et devenait frénétique. Elle ne mit pas longtemps avant de rejoindre la piste de danse. Nico se leva aussitôt et alla se coller sur ses flancs. Leurs deux corps ondulaient dans le vacarme, arrosés d’éclairs qui les pétrifiaient dans des poses érotiques, se frottant de toutes parts aux autres danseurs. Nico venait de la piéger contre son ventre, ses fesses s’étaient soudées à son jeans, et il l’embrassait dans la nuque, lui plaquant de larges baisers trempés d’alcool. Alex affalé dans son coin, avalait quatre ou cinq whiskies à la suite. Il cherchait à savoir s’il n’avait pas perdu la partie avant même que le jeu soit annoncé. Ses pointes rouges rescapées brillaient de sueur. Jeff était planté au centre de l’énigme.

    – Tu vas pas me dire que toi aussi tu te dégonfles.. Ça serait la plaisanterie du siècle, et je me serais donné tout ce mal pour rien?.. Mais bouge toi donc, qu’est-ce que t’attends ?..

    Mais Jeff ne buvait même pas. Il semblait ne s’intéresser à rien, les deux coudes nonchalamment appuyés sur ses genoux, le regard morne. Karine éclusait et laissait les mains de Bœuf fouiller son corsage. Nico seul paraissait à la fête. Il retenait Lola à bouts de bras, riant tellement qu’il renversait son verre sur sa jupe. L’alcool coula entre ses jambes, et il s'agenouilla pour le lécher, enfonçant ses ongles dans la chair. Lola riait comme une folle au milieu d’un cercle d’inconnus qui applaudissaient. Puis il se releva et sans cesser de s’esclaffer, se dirigea titubant vers une des cabines de toilettes. Il n’avait pas franchi le seuil que Jeff lui emboîtait le pas. Une lueur traversa les rétines d’Alex qui leva son verre avec un ricanement sinistre.

    – Il ne manquerait plus que tu t’accroches toi aussi.. Ferme les yeux et respire à fond… Puis laisse tomber pour cette femme;. t’as mieux à faire qu’à gâcher une nouvelle fois ton existence.. Ce pourri de Nico est tombé dans le panneau, et il aura son compte, c’est ça que tu voulais.. Non ?.. Mais pour la suite il faudra tâcher de te montrer rapide, il y a un paquet de billets qui dort sagement quelque part en t’attendant, de quoi recommencer une vraie vie, peinarde et loin des embrouilles.. Et t’auras déjà assez d’emmerdes à régler pour sortir gagnant de la partie.. Alors il faut que tu restes clair, le type le plus clair de la planète pour au moins disons.. Vingt quatre heures… ou quarante huit peut-être..






     


    votre commentaire
  •  

     

    La petite foule finit par se décider. C'était la grande fête des Chiens Electriques. Le producteur leur assurant un avenir glorieux et lucratif. Comme il avait du promettre à l’autre groupe quelques années plus tôt. Ces derniers s’échinaient à cet instant dans une salle froide et désertée, en perdition sur l'infatigable roue du succès. Monsieur Boyarkan ne s’était même pas donné la peine de les saluer. Il venait d’offrir son cœur à d’autres. Alex avait sourit de ces enfantillages cruels. Il savait ce que valait la parole donnée les soirs d’euphorie. Parfois même le lendemain, avec les cheveux raides de la dernière cuite.

    La troupe marchait en file indienne. Karine défaite traînait en arrière dans les pas de Jeff. Lola enserrée dans un petit groupe à l’avant sentit la main de Nico sur sa hanche. Il venait de s’en saisir familièrement et la pressait contre lui sur le chemin du bus. Elle ne s’ offusqua pas plus ensuite de retrouver ses doigts sur ses fesses. A l’arrière Jeff n’avait rien perdu de la scène. Il se contenta de serrer les dents. Son attention était mobilisée par un autre sujet, plus urgent encore. Il venait de repérer une voiture banalisée roulant avec les seuls feux de position. Elle avait une manière spéciale de longer le trottoir, comme une vision grise du malheur. Son cerveau ne fit que constater et son instinct, s’était occupé du reste. La pâle clarté d’un réverbère lui permit de vérifier que c’étaient bien des flics.  En tenues d'ailleurs, qui remontaient la ligne des fêtards en scrutant chaque visage. Il tourna la tête et aperçut l’entrée annexe de la salle de concert réservée aux roadies. Par chance elle restait ouverte. Il s’y dirigea d’abord à reculons en se servant de la chenille humaine comme d’un paravent. Avant de se retourner et d’avancer franchement vers le tunnel miraculeux. Il ne se souciait plus de Lola ni de quiconque quand il atteignit le seuil du couloir. Nerfs et muscles à vif, et la main droite à hauteur de ceinture où chauffait l’automatique chromé. Tout s’était passé en quelques secondes et certainement que les flics ne devaient pas en avoir après lui. Seulement il venait de s’offrir une nouvelle crise de paranoïa. Comme toutes celles qui avaient déclenché les fusillades quand sa tête lui échappait. Pour lui un voyou se devait d’être un peu plus cinglé que la moyenne. Comme si la folie accordait une puissance infernale. Un truc inaccessible au commun des mortels. Nico à la vue des flics poussa des cris de hibou dans la nuit. D’autres gloussements et borborygmes de toutes natures suivirent de l’avant à l’arrière de la colonne. Les flics qui se retrouvaient là par hasard tiraient la tronche. S'amusant d'un petit tour de piste pour sauver la face. Mais ils prirent vite le large face à la meute surexcitée.

    Tous s’étaient déjà engouffrés dans le bus qui démarrait quand Jeff rappliqua en courant. Il leur fallut rouvrir la porte pour le laisser monter. Alex avait tout vu et pensait que la situation allait virer à la bataille sanglante d’une seconde à l’autre. Une joie viscérale et incompréhensible le submergea. Mais quelqu’un d‘autre venait de prodigieusement s’intéresser à l’affaire. Karine qui traînant misérable à l’arrière, n’avait rien perdu de l’incident. Comme tirée d’un rêve. Ses yeux de fouine avaient analysé la scène et en voyant réapparaître Jeff aussitôt après le départ des flics, tout lui sembla évident. Le monde retrouvait un peu de sa clarté cristalline. Une bombe pouvait très bien éclater et la laver des humiliations. Coincée dans le fond du bus elle ne le perdait plus de vue.

     

     

     

     


    votre commentaire
  •  

     

    Les deux loges étaient noires de monde. Un tas d'admirateurs tournaient autour des musiciens. Pas mal de filles aussi. Le confort était sommaire, et après s’être épongé chacun s’empressait de changer d’accoutrement. Sauf Alex qui conservait sa tenue. Mais lui transpirait très peu. Un détail pourtant frappait les plus observateurs. Il portait des vêtements classiques et de bon goût. Laissant de côté les satins et exagérations qui en réalité chez lui reflétaient un manque d’imagination et d’intérêt. Cette nuit il avait opté pour un jean droit et une chemise tombante toute simple qui le faisaient ressembler à un cow boy de sortie en ville.

    – Et si on se tapait une petite virée.. Clama Nico, au centre de l’attroupement.

    Il affectait un détachement qui était un mensonge. En secret il crânait et jubilait. Quoique par coquetterie il s’attachait à paraître sourd aux flatteries. Un calcul efficace qui ne les attirait que mieux. La plupart de ceux qui s’attardaient et papillonnaient autour d’eux rendaient les mêmes honneurs la veille au groupe qui allait les remplacer sur scène. Leur enthousiasme sonnait comme un ralliement. Non seulement il jubilait comme un jeune chien fou mais il comptait aussi profiter de tous les avantages qu’offrait la situation.

    Ses yeux venaient de viser droit dans ceux de Lola, qui elle ne tenait plus en place. Fébrile. Les vibrations et l’énergie dégagée par le groupe la mettaient véritablement en chaleur. Matt se rapprochant de son frère réussit à lui parler à l’oreille.

    – Celle-là on la rate pas.. Elle est cuite;. Je peux m’en occuper si tu veux;.

    Il cligna du côté de Lola, et pour lui tout était réglé d’avance. Les frangins s'étaient toujours passés les filles comme des butins de guerre. Son frère lui retourna une expression inconnue qui le glaça, et il préféra se détourner. Cette histoire signait la fin d’une forme d’innocence qui le vieillissait de dix ans d’un coup. Nico se glissa jusqu’à Lola. Si près qu’il pouvait sentir ses reins palpiter. La présence de Jeff dans son dos aurait du l’inviter à un minimum de prudence. Mais Nico ignorait à peu près tout de cette notion. Et il manquait encore d’expérience pour évaluer un vrai danger.

    – Tu nous suis ?.. Il gloussa à son oreille sûr de son effet.

    – Et bien.. Si on peut s’amuser.. On va quand même pas cracher dessus.. Non ?..

    Elle avait fait mine en lui répondant de se retourner vers Jeff. Mais sa moue effrontée ne laissait place à aucun doute. Celui-ci comprit qu’il ne la tiendrait plus tant qu’elle planerait ainsi à mille mètres. Ces musiciens se révélaient bien plus malins qu’il avait imaginé. En fait il manquait de sensibilité pour admettre que la force brute ne peut pas tout régler sur terre. Lola voyageait sur un tapis magique au milieu de ces crève la faim. Une pareille incohérence lui semblait tellement absurde qu’il ne l’avait pas envisagé en venant se fourrer dans le piège. A sa décharge il fallait reconnaître que Lola aussi ignorait cette facette de son âme. Son regard scintillant ne signifiait rien de précis, sauf pour Alex qui à l’écart se laissait porter par les petits jeux des uns et des autres. Il était le seul à pouvoir réunir suffisamment de cartes entre ses doigts pour interpréter la partie. On ne s’agglutinait pas autour de lui; alors que les affiches rameutaient le public avec la présence de l’ancien guitariste de Freddy. Il vit Karine s’approcher de Nico. Il l’observa quand elle s’emparait de son bras. Il eut mal en le voyant se défaire de sa main comme s’il repoussait un petit animal encombrant.

    – Son affaire était de se marrer sur tes vieux os fatigués.. Une sorte de bonne blague et rien de plus.. On était un couple réglo qui demandait rien à personne, et il a foutu ça en l’air parce que ça l’amusait.. Et maintenant..

    Alex préféra clore ce chapitre. Il voyait aussi Lola qui éclipsait toute forme de concurrence. Elle apportait en lui malaise et idées tordues. L’obligeant à se mesurer en tant qu’homme alors qu’il avait toujours choisi l'esquive devant plus déterminé que lui. Comme l'envie de remettre un jour en question la hiérarchie sur scène ne l’avait jamais effleuré. Lola lui remuait les entrailles. Les yeux mi clos il humait l’air enfumé quand il reçut une belle tape dans le dos.

    – Il faut qu’on se parle toi et moi;. Tu nous a fais une belle frayeur.. Mon Petit.. En disparaissant.. Recommence plus jamais ça…

    La claque de Monsieur Boyarkan avait beau être flatteuse; Elle tombait mal. Autant que le Mon Petit.. Mais il ne pût faire autrement que répondre sur un ton empressé. Celui de l’artiste au ventre vide face au tout puissant producteur. Un réflexe naturel appris de longue date.

    – Ah.. Mais ..euh.. je ne savais pas que vous étiez ici;. J’aurais tenu à vous saluer.. Monsieur Boyarkan..

    – Pa.. Pa.. Pa.. ne t’en fais pas;. Je suis arrivé qu’hier soir sur la tournée.. (il s’éleva jusqu’à son oreille en se mettant sur la pointe des pieds);.. Il faut vraiment que je te parle;. ..Tu Dois Souder cet Orchestre.. Tout Repose sur Toi;.

    Il lui fit sur un ton de confidence en plein tumulte. Alex put constater que la phrase avait été entendu par au moins la moitié de la loge. Le minuscule producteur dont la taille se terminait à hauteur de son épaule se saisit de son avant bras et levant l’autre main réclama le silence dans la pièce.

    – Mes amis.. Mes amis.. Ecoutez moi.. Ecoutez moi, je vous en prie.. C’est magnifique ce que vous avez fait ce soir.. Je suis dans ce métier depuis plus de vingt ans;. Et je sais quand il se passe quelque chose.. Vous voyez.. C’est là.. Dans ma gorge que je le sens.. Regardez bien où je vous montre;. Juste en haut, sous le menton.. Dans le creux, entre la glotte et la mâchoire.. Et ce soir je l’ai ressenti.. Ca m’a bien pris là.. Exactement là où j'ai mon doigt.. Vous comprenez ce que je vous dis ?..

    Une ovation lui répondit. Cependant monsieur Boyarkan n’en avait pas fini.

    – Je veux vous faire plaisir mes amis.. Vous le méritez.. Donc on laisse tomber le petit repas de tous les jours qui était prévu à l’hôtel et je vous emmène en ville… et on reviendra fêter votre succès ici même à la discothèque..(il martelait ses mots..);. Dans cette salle qui vous a vu triompher.. Je veux vous régaler..(Détachant les syllabes..).. Mais surtout, vous devez me croire..

           ....Je Vous Donne Mon Cœur.. Mes Amis.. Mon Coeur;..

     

    Alex vit certains briller de plaisir, d’autre se fermer comme des huîtres, et même rugir de colère.. Cela ne tenait qu’à leur position dans le jeu.

     

     

     

     


    votre commentaire
  •  

    ….. – Et je vous demande maintenant une minute de silence… A la mémoire de JOHN LENNON..

    Les lumières illuminèrent la scène d’une couleur unique, un blanc éclatant dans lequel se découpait la silhouette de Nico, torse nu et les bras en croix. Une guitare pendait sur son ventre, on eut dit un Christ sous amphétamines. Dans l’éblouissement des projecteurs on ne distinguait plus rien de ses traits. Les autres musiciens se figeaient sur place. Pour un tableau fulgurant de clarté, comme le vrai paradis. Les quelques centaines de spectateurs n’occupaient que la moitié de l’espace, mais ils n’en étaient pas moins baignés de sueur, et des grappes de visages rouges collaient contre la scène. Nico les dominait et allongeait la bouche comme s’il leur soufflait dessus, les asphyxiait de son haleine. A un mouvement de sa main Bœuf entama un rythme sourd et obsédant de grosse caisse, que Nico d’abord puis tous les autres relayaient d’un même long balancement de la jambe droite. Nico semblait décidé à finir en Christ de plâtre et le reste de son corps conservait une immobilité absolue. Face à lui des dizaines de bras levés comprenaient ce que l’on attendait d’eux et se mirent à claquer en cadence. Il n’y eut plus qu’un seul son, et une légion de robots, un martèlement sinistre qui dura toute la minute.

    Jusqu’à ce que d’un seul coup la voix de Nico transperça les murs.

    – Qu’il CREEVVE en ENFFEER…. Il hurla d’une voix tordue. Crachant comme un malpropre sur la mémoire du vieux Lennon.

    Dans la salle ils étaient peu à se rappeler de qui il s’agissait et le sacrilège finit dans les postillons des premiers rangs en nage. Le groupe reprit le morceau interrompu deux minutes plus tôt dans des glissements d’accords et une charge de batterie. Nico renversé, se laissait tomber sur les premiers rangs, puis d’un coup de reins et cassé en deux, revenait à sa place. En fond de scène Alex remuait à peine en alignait ses gammes. Tapissant les rythmes de perles d’acier qui fusaient comme des balles aux quatre coins de l’immense discothèque. Quand il jouait tout devenait possible, les figures les plus risquées se transformaient en simples fantaisies. Un mur de feu protégeait le groupe comme un filet tendu par le Diable.

    La salle était en transe, c’était le troisième rappel.

    Dans un coin d’ombre des coulisses, sur le côté gauche, Lola était pétrifiée. Son regard hésitait sans cesse entre le profil doux d’Alex qu’elle distinguait noyé dans les lumières, et la puissance animale, l’énergie brutale de Nico. Un peu en retrait Jeff ne parvenait plus à cacher sa nervosité. Il n’aimait pas les yeux ronds et luisants de sa compagne qui ne s’était pas retournée une fois depuis le début du concert. Par contre pour ce qui était de la musique ça ne l’impressionnait guère. Il pressentait seulement que les calibres et même les sacoches de billets ne signifiaient plus grand chose dans l'immédiat. Sa femme fixait le paradis.

    Alors un dernier son de guitare trancha l’air comme une lame de couteau géante, suivi d’un roulement de tambour, et le groupe quitta la scène après que Nico ait levé une ultime fois son poing vers le plafond. Les sifflements du public n'en finissaient plus. Il voulut courir en direction de la loge, quand il trébucha sur Lola. L’agrippant par le bras il se pencha sur son cou nu qu’il renifla et lécha. Avant de l’embrasser à pleine bouche. De la sueur dégoulinait de ses flancs et en le saisissant Lola y trempa ses mains. Nico la relâchait rapidement, la gratifiant d’un rire carnassier, tout en remontant sa frange d’un mouvement nerveux de la tête. Son nez à quelques centimètres du sien.

    – Fils de pute… Grogna Jeff dont les poings se serraient à mort.

    En le croisant aussitôt après Nico ne remarqua rien de particulier sur son visage. Non loin derrière au milieu d’une petite foule Karine blêmissait. Elle déboula sur leurs traces mais fut emporté par une cavalcade au milieu de laquelle sa haine devint insignifiante. Lola n’avait plus bougé, et se contentait de lécher ses doigts encore trempés de la sueur aigre et sucrée à la fois du chanteur.

     

     

     

     


    votre commentaire
  •  

    Même les tueurs ne font pas toujours la loi.. Constata ironiquement Alex quand il vit Lola grimper dans le bus. Sur ses talons Jeff s’était décidé à les suivre malgré les risques qu’il courait en ville. Il affichait un masque qui à première vue pouvait être qualifié d’impassible, sous lequel seul Alex pouvait discerner la véritable tension. Dans le bus flottait comme une odeur de dynamite. Les Chiens Electriques au grand complet s’apprêtaient à fondre sur la ville. Au volant le chauffeur ricanait. 

    Nico se postait à l’avant; une mèche de cheveux sauvages lui fouettait les joues. Son jean lui serrait les fesses à craquer, et l’excitation se lisait déjà sur son visage. Tournant parfois au rictus quand ses larges lèvres devenaient aussi rouges qu’une cicatrice infectée. Son frère Matt lui entourait les épaules d’un bras mou. Plus âgé que lui, il n’en restait pas moins un ton en dessous. Appliqué à le couver du regard. Prêt à jouer l'homme de main. Walli le pianiste arborait son éternelle tenue de cuir qui lui collait au corps au point de remplacer sa peau. Ses traits désordonnés le faisaient paraître inconsistant. Et il se retrouvait souvent à part même au milieu du tumulte, perdu dans une sorte de rêverie permanente. Bœuf cognait de ses baguettes sur un dossier de siège, se démontant le cou dont les plis graisseux luisaient avec les néons de l’avenue. Dans le fond du bus Kim faisait la gueule. A proximité Karine s’efforçait de sourire, mais ses mâchoires tressaillaient par moments dans l’effort. Des frissons parcouraient ses bras, conséquence de ses nerfs tendus à bloc. La vue de Lola à quelques sièges devant la rendait malade. Ses yeux cherchaient sa nuque avec le fol espoir de la briser net. Elle l’aurait assassiné sans pitié si un tel geste ne relevait pas de la loi des hommes. Et on voyait rougir les flammes dans son esprit. Lola se trémoussait sur son siège. Nico de loin dévorait ses cuisses, et alors sa langue quittait brièvement la bouche, glissait entre les dents. Une langue d’un rouge sombre, presque mauve. Sa gorge se gonflait pour laisser passer la salive. Alex et Jeff pour des raisons différentes, semblaient inertes. Mais Alex aussi pensait à Lola, de plus en plus souvent, avec la ténacité d’un virus qui s’installe, une petite maladie aux premiers symptômes anodins. Les yeux fermés il aspirait son parfum. C’était un poison trompeur, des arômes musqués qui aggravaient le mal. Son esprit rejouait la chanson de Freddy avec le même son nazillard de l’électrophone du vieux. Il sentait son ventre frotter le sien durant la danse. Alors qu’il évitait de la regarder, se disant qu’il valait mieux ne pas envenimer la situation.

    Le bus roulait sur des avenues, glissant sous les ponts d'autoroutes dressés comme des arcs de triomphe, s’engluait dans l’heure de pointe et ouvrant le trafic de sa lame d’or de vieux brise glace fourbu, grinçant de ses ressorts réglés sur le tempo définitif de 1956. Nico fredonnait.. Shake Baby Shake.. Shake, baby, shake, you know … Les Chiens Electriques étaient parfaits.

     


    votre commentaire