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    Cela faisait plus d’une heure que Jeff avait quitté la maison. Alex s’était affalé sur le velours râpé du fauteuil, une grande tasse à café en main. La pièce sentait encore le plastique brûlé. Lola fumait une cigarette debout contre le mur et au même endroit où s’était terminé la danse, comme si une émotion particulière l’y retenait. Aucun des deux ne parlait. Pendant quelques minutes il avait soupesé l’idée de s’enfuir, lançant des regards obliques en direction de la porte. Mais à chaque fois il replongeait son nez dans le noir d’encre du café. Des flots de souvenirs tordus et plus coupants que des bouts de verre lui rabotaient l’esprit. Quand il finit par aller aux toilettes, il eut la nette impression que Lola se tenait sur ses gardes, et l’automatique chromé ne devait pas être loin. Quoique il aurait juré que son esprit ne cachait rien de négatif à son égard. Seulement au-dehors ne l’attendaient qu’ennui et indifférence.

    – Tu connais pas les cartes de ton propre jeu.. C’est loin d’être simple comme affaire.. Quand au trésor, j’ai du mal à croire que l’autre lui fait totalement confiance.. C’est pas dans sa nature.. il doit plutôt être bien planqué..



    L’aventure ressemblait à un feuilleton télé. Il se sentait confusément lourd et incapable de prendre une décision. Comme s’il craignait de manquer le plus important ou le dernier épisode. Pourtant dehors le calme régnait et il lui aurait suffi de partir en courant pour abréger un dilemme aussi dangereux. Néanmoins il ne bougeait pas de son fauteuil. Le monde qui l’attendait au delà de cette porte ne méritait plus à ses yeux un pareil aveuglement. Même certaines images qui se montraient plus tenaces que d’autres, ne parvenaient pas à l’affoler. Parfois il en retenait quelques unes carrément comiques et se les repassait à volonté comme celles du vieux et de son chien qui voulait bouffer tout cru une partie essentielle de Jeff. Il ne sursauta même pas quand la porte d’entrée s’entrouvrit. Mais il nota que Jeff revenait passablement énervé. Alex le vit apparaître dans un miroir situé au-dessus de la commode et esquissa un sourire.

     

    – Il faut que tu admettes une réalité mon gars..  C'est qu’il pourrait te mettre sur la liste des pompes funèbres.. Et tu l'auras pas volé.. Alors maintenant que t'es en plein dedans.. Le mieux est d’aller au bout de l’histoire..

     

    Jeff déposa son arsenal sur la table en tirant une mine d’enfer.

    – Le coin est pourri jusqu’à la moelle, j’ai vu passer une patrouille, elle s’est collée en embuscade à deux kilomètres.. Lola il faut que tu trouves une carte de la région quelque part..

    Il s’aperçut de la présence d’une seconde bouteille d’eau de vie au pied du buffet, et après l’avoir rapidement ausculté l’ouvrit et fit couler un filet dans sa gorge, comme une fontaine.

     

    – Et.. Mais qu’est-ce qui t’es arrivé à toi ?.. Il lui demanda.

    – T’es mieux comme ça;. T’as bien fait.. Il Affirma d’un air bonhomme.

    Se grattant la tête en évoquant ses cheveux.

    – On va se planquer ici jusqu’à cette nuit.. On repartira avant le matin; il y a encore le problème du vieux à régler;. Il faut tout remettre en ordre autour de la grange.. Et bien fermer la maison au cas où un fouineur passerait par là;. J’ai quand même pas l’impression qu’il voyait beaucoup de monde.. C’est pas plus risqué qu’ailleurs et au moins on est au chaud et on mourra pas de faim..

    -  Ils en seront où tes collègues ?.. Il lui fit en le dévisageant.

     

    Alex comprit difficilement qu'il lui parlait des Chiens Electriques. S'efforçant de rassembler ses idées.

     

    - Ils vont être au même endroit pour trois jours..je me souviens qu'on en avait parlé..  ils jouent dans une discothèque géante que je connais .. donc ce soir et demain encore.. ça tombe bien..

     

    Dans le miroir sur la commode il apercevait Lola. Jeff se rapprocha d’elle et l’enlaça, puis sa main descendit le long des reins. Une sensation étrange l’envahit quand Lola se mit à réagir à ses avances. Une vision qui l’obligea à se lever.

     

    – En ce qui me concerne je préfère aller dormir.. Je me vois pas passer des heures assis sur une chaise..

    Comme tu veux l’artiste.. Mais je vais avoir besoin de ton aide, il reste le vieux à balancer..

     

     


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    En cinq minutes ses cheveux rouges avaient disparus. Les derniers d’un brun naturel, mesuraient tout au plus deux centimètres et ne pesaient plus rien sur son crâne. Lola n’avait pas cessé de danser. Il eut pourtant du mal à suivre quand elle lui prit la main et l’invita à se lever.

    – Elle veut danser.. Oui c’est ça, elle veut danser.. Mais réfléchit vite si tu veux fixer une limite.. Allez t’as cinq secondes.. Un.. Deux .. Trois..

    Il ne parvint pas au bout, elle l’avait déjà tiré sur elle.

    Il l’accompagna comme il pouvait, la danse n’ayant jamais été son fort. Il se contentait de la laisser tourner, vaguement ridicule en peignoir bleu. Mais elle résolvait une bonne partie de la question, le frôlant dangereusement à chaque mouvement. Ses seins le brûlaient au travers du tissu, et il éprouva un léger vertige. Transpirant et atteint d’une sorte de fièvre. Le vieux pick-up lâchait un son nasillard, le disque craquait.

    Il souffla longuement les yeux fermés à la fin du trente trois tours. Puis en les rouvrant il l’aperçut qui s’en allait le retourner avec une lenteur mortelle. Il savait que l’autre face réservée aux blues, serait encore plus venimeuse, et il préféra refermer les yeux en la sentant se rapprocher. Il lui sembla même prier à partir de cet instant.

    La voix de Freddy s’avançait à la manière d’une couleuvre, lente et délicate, s’enroulait autour des accords de blues, balançait un tas de promesses en l’air, et ce fut l’instant où il sentit que Lola le prenait par la taille. Il se retrouva à lui fouiller sa bouche; suçant l'intérieur, s’accrochant à ses hanches avec des mains dont il perdait le contrôle. Puis il glissa vers la peau claire et luisante des cuisses qui l’émouvaient depuis des heures. . Et il percevait aussi de l’air chaud qui en fuyant les narines de Lola venait chauffer son cou. Il se résolut à la repousser jusqu’au mur, pour la coller sur la tapisserie usée du salon, et il comprit qu’il n’aurait pas à se déshabiller davantage, Lola s’en occupait déjà. La première chanson s’arrêta et la suivante fut accompagnée des petits cris courts quelle laissa échapper aussitôt qu’il se retrouva en elle.

     

     

     


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    Jeff revêtit un vieux treillis qui pendait à un crochet, et enfila un bonnet de laine. Infatigable, Lola qui apparemment n’avait pas dormi une minute, se détendait encore les bras. Ce qui une nouvelle fois gonflait sa poitrine. Alex remarqua à peine la véritable artillerie que Jeff tirait d'un sac de toile. En plus du fusil de chasse à canons sciés, il emportait la grenade et un pistolet mitrailleur du genre tchèque.

    - Tu m’as l’air tout pâle.. Pense à te détendre un peu, on file d’ici l’aube;. Lui fit ce dernier, le dévisageant.

    – Euh.. C’est déjà l’aube.. Je crois bien.. Marmonna Alex.

    – Ah bon !.. J’avais pas fait attention;.

    La porte venait seulement de claquer, le laissant se fondre dans le gris du jour naissant, que Lola effectuait un volte face comme si elle démarrait un cent mètres. Elle se mit rageusement à fouiller dans tous les placards de la maison avec un objectif difficile à cerner. Alex la suivait de loin d’un couloir à l’autre sans quitter ses cuisses des yeux, les examinant qui gonflaient quand elle s’accroupissait. Elle disposait encore d’une sacrée énergie et vidait sans ménagement les recoins bourrés d’objets insolites. Dans son sillage Alex enjambait les reliques d’une vie entière avec amertume et curiosité. Puis il se souvint de son envie de prendre une douche. Soupçonnant qu’il ne devait pas sentir la rose depuis son dernier décrassage. Il s’en alla faire couler un bain et s’y plongea jusqu’au cou. Sans pouvoir oublier mentalement un dentier complet trônant sur une tablette. Après quoi au lavabo il lava ses sous vêtements qu’il mit à sécher contre un radiateur. D’un coup il fixa son reflet dans le miroir et plus spécialement ses cheveux rouges qui pendaient encore tout humides. Avec une barbe de plusieurs jours à laquelle il avait fini par s’habituer. Il s’empara des affaires du vieux et entreprit de se raser. Calmement, ne s’interrompant que quand il entendit Lola s’écrier dans le couloir.

    – Ouaahh.. Enfin… Je l’ai trouvé Bon Dieu celui-là..

    Ce qui l’amena à se hâter, enfilant un peignoir de coton en attendant que ses vêtements soient secs. Il la retrouva dans le séjour portant dans ses bras un incroyable pick-up recouvert de tissu écossais bleu et vert. Elle était à la recherche d'une prise électrique. Ce fait le déconcerta plus que tous les autres.

    – C’est un vrai musée cet endroit;. Il a du se payer de bons moments le papé dans sa jeunesse, dommage qu’il n’ait pas tout saisi des temps modernes.. M’enfin, il a pas à m’en vouloir de là où il se cache, j’y étais pour rien dans ses ennuis..

    Il calma en s’humectant les lèvres la culpabilité, tout en respirant plus fort quand la voix de Freddy monta dans la pièce. Il connaissait par cœur le morceau.. Baby Hurricane, un des grands classiques de Freddy, un de ses préférés aussi.

    Devant lui Lola chaloupait en se tenant le haut des hanches, et à petits pas se rapprochait du fauteuil dans lequel il venait de s’effondrer. La chanson était un boogie, un de ces trucs qu’on oublie jamais de passer dans les mariages. Il fixait Lola qui avait lâché ses hanches pour joindre les bras au-dessus de la tête. N’osant se livrer au moindre pronostic sur ce qui allait suivre. Mais elle se révéla autrement plus imprévisible que sa piètre imagination. Cessant toute activité, comme interdite.

    – Moi je sais ce qu’il te faut.. J’ai appris la coiffure, je te l’ai pas dis ?..

    Elle employait un ton familier qui le troublait. Au point qu’il ne sut lui répondre.

    – Attend une minute;. Bouge pas de là.

    Elle laissa jouer le trente trois tours et fila vers la salle de bain d’où elle ressortit avec un peigne et des ciseaux.

    – Bouge pas et reste bien assis.. Et surtout laisse moi faire.. On voit toutes tes racines maintenant, c’est dégueulasse..

    Elle entreprit de lui couper les cheveux rouges. Minutieusement, sans un mot supplémentaire, le frôlant de sa peau blanche et chaude, lui caressant la tête et la nuque, les épaules et le torse. Collant le haut de ses cuisses au niveau de ses épaules. Se déhanchant sur la musique dans une danse inédite.

    – Ca doit être une forme de distorsion du temps.. En tout cas elle devrait faire breveter le procédé.. Et si je devais en plus mourir dans moins d’une heure, je pourrais me dire que c'est pas d'ennui.. De toute façon il vaut mieux mourir d’un seul coup et pour de bon que mille fois de trouille et de honte.. Le Vieux Avait Raison Là Dessus.. Un de ces jours je boirais un coup à sa santé.. Rien que pour ça.. 

     

     

     


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    L’air de la pièce s’était épaissi. La fumée dessinait des nuages mauves sous le plafond. On ne se souvenait déjà plus du vieux et son cadavre refroidi gisait à l’extérieur. Mais il était encore trop tôt pour craindre son fantôme. Après un moment de silence faute de télé Lola s’était levée pour fouiner dans la maison, avec des petits balancements de hanche attendrissants. Au passage elle glissa son doigt sur un miroir posé sur la commode et le lécha. Les débris de poudre devaient être les derniers vu sa nervosité. Jeff s’était collé à califourchon sur une chaise et méditait à moins qu’il ne dormait simplement.

    – Mince.. Pensait Alex.. On dirait une bombe qui a oublié d’exploser,.. Il n’y a pas une demi-heure il faisait l’effet d’une pile atomique..

    Il avait continué à siroter son verre puis lui vint soudainement l’envie de prendre une douche. Ce qui impliquait d’en parler à Jeff et il jugea préférable d’attendre. Il mourait d’envie d’un café de la même façon, réalisant quel tempérament spécial il fallait pour effectuer toutes les petites tâches de la vie courante dans des moments aussi extraordinaires. Il allait se décider sur ces questions quand Lola cria littéralement.

    – Vous devinerez jamais ce qui vient de me tomber sous la main… bidum;. Bidum.. Bi.. Bi bi..

    Jeff parut sortir de sa torpeur et leva un regard contrarié.

    – Je la connais assez la seule chose qui peut te mettre dans cet état.. Et je peux t’affirmer que c’est pas ce que tu tiens dans tes mains.. Écoute Lola, le moment est venu de se remuer si on veut revoir le jour.. J’ai le pressentiment que les flics vont sonner à la porte d’une seconde à l’autre, on pourrait même leur préparer un petit déjeuner..

    – Putain, qu’est-ce que tu deviens noir quand ça te prend;. . Eh Alex!.. Je suis sûre que tu le vois autrement, des disques du grand Freddy Hurricane.. Les Vrais en Plastique Noir.. Comme Avant.. .. C’est ça que j’ai entre les mains..

    Elle sortit la galette de vinyle d’une pochette jaune écornée et griffée de toute part, balançant ses hanches d’avant en arrière, ce qui faisait ondoyer les longs muscles de ses cuisses. Alex fixait le triangle qui se dessinait entre les jambes, dont la peau lui paraissait sucrée et aussi douce que le museau d’un chat. Il dut refermer ses doigts pour les retenir.

    – Encore cinq minutes et elle va rendre l’air difficilement respirable.. Il faut que tu fasses gaffe..

    – Ta gueule Lola;. Tu commences à me les faire monter, lâche nous avec cette antiquité et ouvre bien tes oreilles;.

    Elle se renfrogna tout en conservant un coin de sourire narquois et le même balancement des fesses. Un instant Alex crut discerner une œillade à son endroit.

    – Ce serait pas le moment que je me retrouve seul avec elle sur une île déserte..

    Une lueur éclairait ses pupilles, tandis que les projets de Jeff n’éveillaient qu’une médiocre curiosité en lui.

    – Je vais effectuer une reconnaissance le long de la route, jusqu’au croisement à trois kilomètres;. Et ça devrait suffire.. Toi Lola, tu le perds pas de vue… t’as compris l’artiste.. Si t’es régulier, les cent mille sont déjà dans ta poche.. Mais si jamais tu nous joues une entourloupe, il n’y aura plus un endroit au monde où tu seras tranquille.. Qu’est-ce t’en dis l’artiste ?..

    – Je vois pas de raison de cracher sur le contrat.. Je vais d’ailleurs en profiter pour prendre une petite douche, si tu y vois pas d’inconvénients..

    Il lui fallut en vérité un vrai effort pour contenir sa voix qui bredouillait, et la menace de Jeff n’y était pour rien.

    – C’est curieux comme phénomène, ça doit être le bus qui a mangé la peur.. On ne peut plus voir les évènements sous le même angle.. Je devais fatiguer sans le savoir..;

    Il songea nerveusement en observant un triangle entre les cuisses de Lola.

     

     

     


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    – On va passer un marché correct, toi et moi.. ;

    Jeff l’avait contourné, le retrouvant de face.

     – Assieds toi;. Fume ta cigarette tranquille;. Tu te relaxes, et ouvre bien tes oreilles..

    – On fait comme tu as dis, et c’est toi qui conduira la voiture.. On va prendre celle du vieux, la notre pourrit au fond d’une carrière à un kilomètre d’ici.. Elle devenait trop connue.. Puis on rejoint tes amis.. Mais.. J’ai comme ma petite idée que ça va pas spécialement leur faire plaisir de nous voir débarquer.. Et s’il leur venait l’envie de nous jeter du bus à notre tour..

    – Comment tu vois ça l’artiste ?..

    Alex avala une nouvelle bouffée avant de trouver la bonne réponse.

    – De mon côté j’ai l’intuition que tu saurais arranger la situation.. Je ne m’inquiète pas pour si peu..

    Jeff partit d’un rire cristallin. Il était toujours torse nu et ses pectoraux se soulevaient en riant.

    – Je te donne raison.. Et avec moi tu te fais un ami sûr, si c’est ce que tu penses.. Alors ça marchera de cette manière et il y aura cent mille pour toi quand tout sera réglé.. Qu’est-ce t’en dis ?..

    Alex siffla d’admiration.

    – Tu es très généreux..

    – J’en ai jamais douté.. Mais tu peux aussi essayer de nous doubler..

    Il ne termina pas la phrase, laissant s’installer le silence. Lola ricanait en douce.

    – Je ne m’amuserais pas à ça.. Si c’est ce que tu veux m’entendre dire..

    – C’est bien ce que je voulais t’entendre dire.., Et moi je tiens toujours parole.. Si t’arrives à retenir ce message..

    – J’ai parfaitement enregistré..

    – Je sais.. Je sais.. C’est ce qu’on dit toujours avant.. J’en ai connu un autre il y a pas longtemps qui ne m’a pas cru sur parole..

    Jeff se retrouvait à nouveau dans son dos comme si toutes ces gesticulations avaient un sens caché.

    – Mais un problème demeure… Fit Alex en écrasant le mégot dans un verre.

    – Je me doutais que ce serait pas si simple, mais dis toujours..

    – C’est pour la voiture… J’ai jamais appris à conduire..

     

     

     


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